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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

d’abord parce qu’il est phthisique, ensuite parce qu’il ne se confesse pas. S’il en est ainsi, quand il sera mort, nous ne l’enterrerons pas en terre sainte, et, comme personne ne voudra lui donner la sépulture, ses amis s’arrangeront comme ils pourront. Il faudra voir comment ils se tireront de là ; pour moi, je ne m’en mêlerai pas, — ni moi, — ni moi, et amen !

Enfin nous partîmes, et j’ai dit quelle société et quelle hospitalité nous trouvâmes sur le navire majorquin. Quand nous entrâmes à Barcelone, nous étions si pressés d’en finir pour toute l’éternité avec cette race inhumaine, que je n’eus pas la patience d’attendre la fin du débarquement. J’écrivis un billet au commandant de la station, M. Belvès, et le lui envoyai par une barque. Quelques instans après, il vint nous chercher dans son canot, et nous nous rendîmes à bord du Méléagre. En mettant le pied sur ce beau brick de guerre, tenu avec la propreté et l’élégance d’un salon, en nous voyant entourés de figures intelligentes et affables, en recevant les soins généreux et empressés du commandant, du médecin, des officiers et de tout l’équipage ; en serrant la main de l’excellent et spirituel consul de France, M. Gautier d’Arc, nous sautâmes de joie sur le pont en criant du fond de l’ame : Vive la France ! Il nous semblait avoir fait le tour du monde et quitter les sauvages de la Polynésie pour le monde civilisé.

Et la morale de cette narration, puérile peut-être, mais sincère, c’est que l’homme n’est pas fait pour vivre avec des arbres, avec des pierres, avec le ciel pur, avec la mer azurée, avec les fleurs et les montagnes, mais bien avec les hommes ses semblables. Dans les jours orageux de la jeunesse, on s’imagine que la solitude est le grand refuge contre les atteintes, le grand remède aux blessures du combat ; c’est une grave erreur, et l’expérience de la vie nous apprend que là où l’on ne peut vivre en paix avec ses semblables, il n’est point d’admiration poétique ni de jouissances d’art capables de combler l’abîme qui se creuse au fond de l’ame. J’avais toujours rêvé de vivre au désert, et tout rêveur bon enfant avouera qu’il a eu la même fantaisie. Mais croyez-moi, mes frères, nous avons le cœur trop aimant pour nous passer les uns des autres, et ce qui nous reste de mieux à faire, c’est de nous supporter mutuellement ; car nous sommes comme ces enfans d’un même sein qui se taquinent, se querellent, se battent même, et ne peuvent cependant pas se quitter.


George Sand.