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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

prétendait savoir le chemin ; mais, comme tout est chemin quand on a des bottes de sept lieues, et que depuis long-temps je ne marche plus dans la vie qu’avec des pantoufles, je lui objectai que je ne pouvais pas, comme lui et sa sœur, enjamber les fossés, les haies et les torrens. Depuis un quart d’heure je m’apercevais bien que nous ne descendions pas vers la mer, car le cours des ruisseaux venait rapidement à notre rencontre, et plus nous avancions, plus la mer semblait s’enfoncer et s’abîmer à l’horizon. Je crus enfin que nous lui tournions le dos, et je pris le parti de demander au premier paysan que je rencontrerais, si par hasard il ne nous serait pas possible de rencontrer aussi la mer.

Sous un massif de saules, dans un fossé bourbeux, trois pastourelles, peut-être trois fées travesties, remuaient la crotte avec des pelles pour y chercher je ne sais quel talisman ou quelle salade. La première n’avait qu’une dent, c’était probablement la fée Dentue, la même qui remue ses maléfices dans une casserole avec cette unique et affreuse dent. La seconde vieille était, selon toutes les apparences, Carabosse, la plus mortelle ennemie des établissemens orthopédiques. Toutes deux nous firent une horrible grimace. La première avança sa terrible dent du côté de ma fille, dont la fraîcheur éveillait son appétit. La seconde hocha la tête et brandit sa béquille pour casser les reins à mon fils, dont la taille droite et svelte lui faisait horreur. Mais la troisième, qui était jeune et jolie, sauta légèrement sur la marge du fossé, et, jetant sa cape sur son épaule, nous fit signe de la main et se mit à marcher devant nous. C’était certainement une bonne petite fée, mais sous son travestissement de montagnarde il lui plaisait de s’appeler Périca.

Périca est la plus gentille créature majorquine que j’aie vue. Elle et ma chèvre sont les seuls êtres vivans qui aient gardé un peu de mon cœur à Valldemosa. La petite fille était crottée comme la petite chèvre eût rougi de l’être ; mais, quand elle eut un peu marché dans le gazon humide, ses pieds nus redevinrent non pas blancs, mais mignons comme ceux d’une Andalouse, et son joli sourire, son babil confiant et curieux, son obligeance désintéressée, nous la firent trouver aussi pure qu’une perle fine. Elle avait seize ans et les traits les plus délicats avec une figure toute ronde et veloutée comme une pêche. C’était la régularité de lignes et la beauté de plans de la statuaire grecque. Sa taille était fine comme un jonc, et ses bras nus couleur de bistre. De dessous son rebozillo de grosse toile sortait sa chevelure flottante et mêlée comme la queue d’une jeune cavale. Elle nous con-