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Valldemosa, chaque graine qu’on nous eût vendue pour les engraisser eût été taxée sans doute un réal. Le poisson qu’on nous apportait de la mer était aussi plat et aussi sec que les poulets. Un jour nous achetâmes un calmar de la grande espèce, pour avoir le plaisir de l’examiner. Je n’ai jamais vu d’animal plus horrible. Son corps était gros comme celui d’un dindon, ses yeux larges comme des oranges, et ses bras flasques et hideux, déroulés, avaient quatre à cinq pieds de long. Les pêcheurs nous assuraient que c’était un friand morceau. Nous ne fûmes point alléchés par sa mine, et nous en fîmes hommage à la Maria-Antonia, qui l’apprêta et le dégusta avec délices. Si notre admiration pour le calmar fit sourire ces bonnes gens, nous eûmes bien notre tour quelques jours après. En descendant la montagne, nous vîmes les pagès quitter leurs travaux et se précipiter vers des gens arrêtés sur le chemin, qui portaient dans un panier une paire d’oiseaux admirables, extraordinaires, merveilleux, incompréhensibles. Toute la population de la montagne fut mise en émoi par l’apparition de ces volatiles inconnus. — Qu’est-ce que cela mange ? se disait-on en les regardant. Et quelques-uns répondaient : — Peut-être que cela ne mange pas ! — Cela vit-il sur terre ou sur mer ? — Probablement cela vit toujours dans l’air. — Enfin les deux oiseaux avaient failli être étouffés par l’admiration publique, lorsque nous vérifiâmes que ce n’étaient ni des condors, ni des phénix, ni des hippogriffes, mais bien deux belles oies de basse-cour qu’un riche seigneur envoyait en présent à un de ses amis.

À Majorque comme à Venise, les vins liquoreux sont abondans et exquis. Nous avions pour ordinaire du moscatel aussi bon et aussi peu cher que le Chypre qu’on boit sur le littoral de l’Adriatique. Mais les vins rouges, dont la préparation est un art véritable, inconnu aux Majorquins, sont durs, noirs, brûlans, chargés d’alcool, et d’un prix plus élevé que notre plus simple ordinaire de France. Tous ces vins chauds et capiteux étaient fort contraires à notre malade, et même à nous, à telles enseignes que nous bûmes presque toujours de l’eau, qui était excellente. Je ne sais si c’est à la pureté de cette eau de source qu’il faut attribuer un fait dont nous fîmes bientôt la remarque : nos dents avaient acquis une blancheur que tout l’art des parfumeurs ne saurait donner aux Parisiens les plus recherchés. La cause en fut peut-être dans notre sobriété forcée. N’ayant pas de beurre, et ne pouvant supporter la graisse, l’huile nauséeuse et les procédés incendiaires de la cuisine indigène, nous vivions de viande fort maigre, de poisson et de légumes, le tout assaisonné, en fait de sauce, de