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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

trées on comprenait, si on ne la parlait, une langue romane, sœur, parente ou alliée de la langue valencienne, la langue maternelle de Vincent Ferrier. D’ailleurs, le célèbre missionnaire n’était-il pas le contemporain du poète Chaucer, de Jean Froissart, de Christine de Pisan, de Boccace, d’Ausias-March et de tant d’autres célébrités européennes[1] ? »

  1. Les peuples baléares parlent l’ancienne langue romane-limosine, cette langue que M. Raynouard, sans examen, sans distinction, a comprise dans la langue provençale.

    De toutes les langues romanes, la mallorquine est celle qui a subi le moins de variations, concentrée qu’elle est dans ses îles, où elle est préservée de tout contact étranger.

    Le languedocien, aujourd’hui même dans son état de décadence, le gracieux patois languedocien de Montpellier et de ses environs, est celui qui offre le plus d’analogie avec le mallorquin ancien et moderne. Cela s’explique par les fréquens séjours que les rois d’Aragon faisaient avec leur cour dans la ville de Montpellier. Pierre II, tué à Muret (1213) en combattant Simon de Montfort, avait épousé Marie, fille d’un comte de Montpellier, et eut de ce mariage Jaeme Ier, dit lo Conquistador, qui naquit dans cette ville et y passa les premières années de son enfance.

    Un des caractères qui distinguent l’idiome mallorquin des autres dialectes romans de la langue d’hoc, ce sont les articles de sa grammaire populaire, et, chose à remarquer, ces articles se trouvent pour la plupart dans la langue vulgaire de quelques localités de l’île de Sardaigne.

    Indépendamment de l’article lo masculin, le, et la féminin, la, le mallorquin a les articles suivans :

    Masculin. — Singulier : So, le ; sos, les, au pluriel.
    Féminin. — Singulier : Sa, la ; sas, les, au pluriel.
    Masculin et féminin. — Singulier : Es, le ; ets, les, au pluriel.
    Masculin. — Singulier : En, le ; na, la, au fém. sing. ; nas, les, au fém. plur.

    Nous devons déclarer en passant que ces articles, quoique d’un usage antique, n’ont jamais été employés dans les instrumens qui datent de la conquête des Baléares par les Aragonais, c’est-à-dire que, dans ces îles comme dans les contrées italiques, deux langues régnaient simultanément, la rustique, plebea, à l’usage des peuples (celle-là change peu), et la langue académique littéraire, aulica illustra, que le temps, la civilisation ou le génie épurent ou perfectionnent.

    Ainsi, aujourd’hui, le castillan est la langue littéraire des Espagnes ; cependant chaque province a conservé pour l’usage journalier son dialecte spécial. À Mallorca, le castillan n’est guère employé que dans les circonstances officielles ; mais dans la vie habituelle, chez le peuple comme chez les grands seigneurs, vous n’entendrez parler que le mallorquin. Si vous passez devant le balcon où une jeune fille, une Atlote (du mauresque aila, lella) arrose ses fleurs, c’est dans son doux idiome national que vous l’entendrez chanter :

    Sas atlotes, tots es diumenges,
    Quan no tenen res mes que fer,