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tant cette vaste construction avait été élevée pour douze personnes. Rien que dans le nouveau cloître (car ce monastère se compose de trois chartreuses accolées l’une à l’autre à diverses époques), il y a douze cellules composées chacune de trois pièces spacieuses donnant sur un des côtés du cloître. Sur les deux faces latérales sont situées douze chapelles. Chaque religieux avait la sienne, dans laquelle il s’enfermait pour prier seul. Toutes ces chapelles sont diversement ornées, couvertes de dorures et de peintures du goût le plus grossier, avec des statues de saints en bois colorié, si horribles que je n’aurais pas trop aimé, je le confesse, à les rencontrer la nuit hors de leurs niches. Le pavé de ces oratoires est formé de faïences émaillées et disposées en divers dessins de mosaïque d’un très bel effet. Le goût arabe règne encore en ceci, et c’est le seul bon goût dont la tradition ait traversé les siècles à Majorque. Enfin chacune de ces chapelles est munie d’une fontaine et d’une conque en beau marbre du pays, chaque chartreux étant tenu de laver tous les jours son oratoire. Il règne dans ces pièces voûtées, sombres et carrelées d’émail, une fraîcheur qui pouvait bien faire des longues heures de la prière une sorte de volupté dans les jours brûlans de la canicule.

La quatrième face du nouveau cloître, au centre duquel règne un petit préau planté symétriquement de buis qui n’ont pas encore tout-à-fait perdu les formes pyramidales imposées par le ciseau des moines, est parallèle à une jolie église dont la fraîcheur et la propreté contrastent avec l’abandon et la solitude du monastère. Nous espérions y trouver des orgues ; nous avions oublié que la règle des chartreux supprimait toute espèce d’instrumens de musique, comme un vain luxe et un plaisir des sens. L’église se compose d’une seule nef pavée en belles faïences très finement peintes, à bouquets de fleurs artistement disposées comme sur un tapis. Les lambris boisés, les confessionnaux et les portes sont d’une grande simplicité ; mais la perfection de leurs nervures et la netteté d’un travail sobrement et délicatement orné attestent une habileté dans la main-d’œuvre qu’on ne trouve plus en France dans les ouvrages de menuiserie. Malheureusement cette exécution consciencieuse est perdue aussi à Majorque. Il n’y a dans toute l’île, m’a dit M. Tastu, que deux ouvriers qui aient conservé cette profession à l’état d’art. Le menuisier que nous employâmes à la Chartreuse était certainement un artiste, mais seulement en musique et en peinture. Étant venu un jour dans notre cellule pour y poser quelques rayons de bois blanc, il regarda tout notre petit bagage d’artistes avec cette curiosité naïve et indis-