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REVUE. — CHRONIQUE.

giron de l’Europe diplomatique ; mais elle ne contrarie pas les efforts de ses alliées, elle les seconde indirectement, rien de plus. Cela est encore naturel, et, loin de nous en blesser, nous savons gré au cabinet anglais de cette espèce de pudeur tardive. C’est avouer ses torts que de reconnaître qu’il ne peut agir vis-à-vis de la France de juillet que par l’entremise de la Prusse et de l’Autriche.

Reste la Russie. Ici la question est plus difficile à résoudre. Le concert européen ne serait rien moins que le retour à la politique du 12 mai, à cette politique que la Russie ne voulait pas alors et qu’elle repoussa fort sèchement. En voudra-t-elle aujourd’hui ? Pourra-t-elle en vouloir ? car les Russes sont fort mécontens du rôle quelque peu ridicule qu’on leur a fait jouer dans les affaires d’Orient. Cette intervention, en fait exclusivement anglo-autrichienne, n’a été rien moins que flatteuse pour les Russes. Ne se diront-ils pas un jour que leur gouvernement est loin de montrer la hardiesse de Pierre-le-Grand, de Catherine, de Paul, d’Alexandre ?

Le cabinet russe se console de cet échec par la rupture de l’alliance anglo-française. C’est là son gain, sa compensation, le but de ses intrigues, le couronnement de ses efforts. Soit. Mais que deviendrait cette politique si la Russie donnait la main au rapprochement de l’Angleterre et de la France, si elle contribuait à faire oublier le passé, à renouveler les liens d’une alliance qui, après avoir été quelque temps générale, pourrait facilement se transformer en une alliance particulière ?

Nous avons peine à croire à l’adhésion de la Russie, à une adhésion sincère du moins. Il est possible que le cabinet russe, parfaitement décidé, ce nous semble, à éviter tout coup d’éclat, tout danger de luttes sérieuses, finisse par donner sa signature, bien entendu qu’il ne la mettra qu’au bas de quelque déclaration insignifiante, et jamais à la suite d’un engagement positif et sérieux. Qu’importe ? Il signera aujourd’hui et cherchera demain à brouiller de nouveau toutes les cartes. Soyons justes ; à son point de vue, il a raison. Il ne peut, sans abdiquer honteusement la politique de Pierre-le-Grand et de Catherine, sa politique nationale, ne garder sur les affaires d’Orient que l’influence que lui donnerait une voix sur cinq dans un congrès européen. Le concert européen, s’il était sérieux, serait pour la Russie ce que le 15 juillet a été pour nous, un échec. S’il se réduisait à des phrases insignifiantes, ce serait alors, pour nous, vouloir ajouter à tout ce qui vient de se passer le ridicule.

Dès-lors, il nous est difficile de comprendre l’empressement que montrerait, dit-on, la France, pour mettre fin à son isolement.

Laissons de côté, nous le voulons bien, toute susceptibilité, tout souvenir, tout ressentiment. Ne regardons l’affaire qu’en elle-même, au point de vue matériel, tout d’utilité.

Dans quel but nous empresserions-nous d’adhérer aux propositions de l’Europe ? Que peut-on nous accorder ? que peut-on nous promettre ?

La clôture des Dardanelles ? il n’est pas besoin d’un nouveau traité pour cela.