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L’opposition ? Mais c’était lui supposer trop de bonté d’ame que d’imaginer qu’elle se prêterait à pareil jeu, qu’elle viendrait complaisamment porter une attaque à fond sur le terrain et au jour choisi par une commission de la majorité, et cela, parce que quelques esprits distingués avaient imaginé à priori qu’il serait bon pour la majorité de livrer et de gagner une grande bataille. L’opposition n’est pas si emportée qu’on le pense, ni si dépourvue d’habileté. M. Thiers et M. Barrot ont parlé, mais avec une grande mesure, sans prêter le flanc, sans engager le combat, prêts à relever le gant plutôt qu’à le jeter. Qu’en est-il résulté d’important, de remarquable ? Un discours excellent de M. Dufaure, un discours que nous approuvons fort ; mais est-ce là le résultat que le rapport de la commission était destiné à produire ? Si les hommes qui partagent les opinions vives, tranchées, courageuses, de M. Denis, en sont contens, rien de mieux. Quant à nous, nous sommes pleinement satisfaits.

En résumé, il suffit d’avoir vu la chambre pendant ces trois journées pour reconnaître que nul ne se souciait du débat qu’on avait essayé de lui imposer. La discussion était menacée à chaque instant de mort soudaine. Rien de vif, rien d’intime, rien de sérieux. On lisait sur toutes les figures ces paroles : Votons, et occupons-nous des affaires du pays.

Nous avons dit en second lieu que le but de la commission impliquait contradiction. En effet, que voulait-elle ? Une large majorité, une majorité de transaction fondée sur des doctrines exclusives. Tout en proclamant un symbole étroit et positif, c’est-à-dire le concert européen à l’extérieur, la stabilité des lois de septembre pour l’intérieur, on disait aux députés : Oubliez vos nuances et réunissez-vous sous la bannière des principes. — Mais l’oubli de ce que vous appelez nos nuances serait une apostasie. M. de Carné vous l’a dit, M. Dufaure vous l’a dit, les ministres vous l’ont donné à entendre en s’exposant à vos reproches, en suppliant en quelque sorte la chambre de ne pas s’expliquer. Proposer une confession de foi plus qu’orthodoxe, c’est ne vouloir qu’une petite église. Il implique de ne laisser aucune question indécise, de ne rien abandonner au libre jugement de l’individu, et de prétendre réunir un grand nombre d’hommes sous le même drapeau.

La position choisie par la commission était si peu tenable, que M. le ministre de l’intérieur, dans un discours adroit et modéré, s’est vu obligé de l’abandonner explicitement : il a déclaré qu’il n’était pas éloigné d’admettre une modification des lois de septembre, une définition de l’attentat.

Ainsi, MM. de Carné, Duchâtel et Dufaure ont ouvertement déserté le terrain de la commission ; M. Guizot a constamment refusé de s’y placer ; M. Villemain a manœuvré sur le flanc et habilement évité la bataille à l’aide d’un combat singulier ; M. Denis, membre de la commission, a seul combattu vaillamment (nous aimons le courage même dans ses erreurs) à côté du savant rapporteur. Victa Catoni.

Il fallait bien que la situation avec ses nécessités fût plus forte que le talent