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fait loyalement le sacrifice ; mais ne leur demandez pas cette confiance intime et spontanée, cette communauté de sentimens et d’idées qui unissent à la monarchie de 1830 ceux qu’elle a appelés pour la première fois à la vie politique ; n’exigez pas qu’ils sachent bien quelles profondes racines l’attachent au sol, quels liens étroits l’enchaînent à la nation, ni qu’ils connaissent tout ce qu’elle peut supporter, tout ce qu’elle peut accomplir. Son existence les étonne et ne les rassure pas. Ne dédaignez donc point leur expérience ; mais sachez que souvent elle les abuse. Les exemples du passé ne sont qu’imparfaitement applicables à ce gouvernement, et il est bien plus nouveau qu’on ne le pense. Le secret de sa force n’est connu que de ceux qui ont fait leur cause de sa cause et qui voient dans sa puissance le triomphe des convictions de toute leur vie.

Toutes les fois que vous demanderez à notre gouvernement un effort, toutes les fois que vous lui conseillerez de courir une chance, ne comptez ni sur l’approbation ni sur le concours de ceux pour qui tout son mérite est d’être nécessaire. Ils s’exagéreront ou le travail, ou le danger ; ils ne rendront justice ni au pouvoir, ni au pays, ni au temps. Citons un exemple. C’est une grande chose que les fortifications de Paris. Depuis la prise de la citadelle d’Anvers, c’est la plus grande chose que nous ayons entreprise. Mais ce n’est pas une œuvre facile ; elle est coûteuse, elle a ses risques ; enfin elle est conçue en vue d’une extrémité peu probable, mais possible, celle d’une guerre malheureuse contre une coalition. Eh bien ! vous pouviez le prévoir, ce n’est pas auprès des hommes dont l’expérience date de trois règnes qu’un tel projet devait trouver un accueil unanime. Dans leurs rangs, il a dû rencontrer incrédulité et répugnance. Écoutez leurs objections. Ce que n’ont pas fait les gouvernemens antérieurs, celui-ci ne saurait avoir besoin de le faire ; ce qu’ils n’auraient pu accomplir, comment lui l’accomplirait-il ? De quel droit imaginer que Paris se défende, puisque deux fois il ne s’est pas défendu ? Par quelle fatuité la monarchie populaire oserait-elle se croire de taille à surmonter ce que n’a pu vaincre la monarchie impériale ? Contre l’étranger victorieux, elle n’aurait qu’une seule défense, ce serait d’abdiquer au profit de l’anarchie, et de confier le salut public à l’insurrection. C’est à cela que les fortifications serviraient. — Savez-vous ce que signifient ces objections ? Que l’on confond ce gouvernement avec ceux qui l’ont précédé, et que l’on méconnaît à la fois son originalité, ses ressources et sa puissance. On assure que la loi des fortifications rencontrera une résistance sérieuse