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plus obscures, dans les universités, et toutes les délicieuses petites odes ou ballades amassées dans ces recueils depuis les judicieuses compilations d’Arnim et Brentano jusqu’à la volumineuse collection d’Erlach. Un écrivain instruit et de bon goût, Mme C…(sous le pseudonyme de S. Albin) nous a donné un premier choix de ces ballades si naïves et si originales ; nous espérons que l’élégant traducteur ne s’en tiendra pas là.

Voici venir du nord de l’Allemagne une longue et intéressante dissertation sur les chants populaires. L’auteur de cet ouvrage, Mme Talvij, est depuis long-temps dévouée à l’étude de cette poésie forte et naïve, qui s’échappe de l’ame du peuple aux heures de joie ou d’angoisse comme un cri d’amour ou un soupir de douleur. C’est elle qui publia, il y a quelques années, le recueil des chants serviens dont plusieurs, et entr’autres l’élégie de la femme d’Asan-Aga ont excité partout une juste admiration. Cette fois, Mme Talvij ne se borne plus à amasser et traduire, elle disserte sur les chants qu’elle a recueillis, elle les classe par provinces, par contrées, et tâche d’indiquer leur caractère spécial, de déterminer la cause des modifications qu’ils ont subies en passant d’un pays à l’autre. Elle commence par tracer un aperçu assez rapide, mais çà et là très ingénieux et très intéressant, de la poésie populaire dans les contrées les plus reculées, dans les îles lointaines de l’Océan visitées par un petit nombre de voyageurs, dans les régions encore à demi barbares de l’Amérique septentrionale et de l’Afrique. Puis elle revient bien vite à la poésie européenne, qui était le principal but de ses recherches, et surtout à la poésie populaire des races germaniques, dans lesquelles elle fait entrer un peu trop librement, ce nous semble, les vieilles populations de l’Islande et de la Scandinavie. Elle décrit tour à tour la poésie populaire de la Suède, du Danemark, de l’Angleterre, de l’Écosse, de l’Allemagne, celle de l’Islande que nous avons trouvée profondément enracinée encore dans le souvenir du peuple, et celle des Feroe que nous avons plus d’une fois entendu chanter avec charme dans de simples réunions de paysans.

Tout ce travail de Mme Talvij accuse un esprit sagace, investigateur, et très vivement imprégné de cette poésie du peuple qu’elle essaie de dépeindre. Cependant, sous plus d’un rapport, il ne réalise point l’idée que son titre doit faire naître dans l’esprit du lecteur. C’est un tableau attrayant et juste parfois, mais trop rapide, trop faiblement touché sur plusieurs points. L’auteur n’insiste pas assez sur le caractère essentiel de certaines poésies, sur la différence de sentiment, d’expression, de forme des contrées qu’elle examine, et sur les causes radicales de cette différence. Son livre est fait avec soin, mais il est fait d’après d’autres livres, et quelquefois d’après des livres très infidèles, tels que les Halle der Volker de M. O. L. B. Wollf. Si, au lieu de compulser les observations des critiques, Mme Talvij avait pu voir par elle-même au moins une partie des lieux dont elle recueille les légendes, nul doute qu’elle n’eût approfondi plusieurs observations importantes qu’elle n’a fait qu’effleurer. Ce que Goethe dit de la poésie en général : « Celui qui veut connaître les poètes doit aller dans la terre des poètes, » est surtout applicable à la poésie du