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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

différentes contrées, histoire guerrière, religieuse, physiologique, née au sein du peuple même, et portant à chacune de ses pages la vive et énergique empreinte de l’évènement national ou de l’émotion profonde dont elle est sortie pièce par pièce, et le signe caractéristique du temps, du lieu qui l’a vue naître. Ceux qui essaient de pénétrer dans les mœurs d’une nation, de retracer quelques-uns des grands faits écrits dans ses annales, se privent d’une source précieuse de documens, s’ils laissent de côté le chant populaire. Il y a de par notre cher pays de France, dans quelque ancien recueil, dans quelque livre léger et fugitif, telle petite chanson mal versifiée et mal rimée qui en dit plus sur l’impression produite par un ministre ou une bataille que bien des commentaires de savans. En Allemagne, les chants populaires du temps de la réformation pour ou contre Luther, en Angleterre les chants des puritains et des jacobites, sont certainement l’une des peintures les plus vraies des émotions du peuple au milieu de l’effervescence produite là par la lutte engagée avec la papauté, ici par le renversement d’un trône. En Suède, en Danemark, les duels à mort, les combats sanglans racontés dans les Kaempeviser et les Folkvisor dépeignent bien mieux le naturel héroïque et farouche des anciennes populations scandinaves que de longues pages de narration patiemment étudiées.

Si de ces traits particuliers, concentrés sur un seul point, appartenant exclusivement à certains pays et à certaines circonstances, nous passons aux traits généraux qui se trouvent çà et là dans un grand nombre de chants populaires répandus à travers d’immenses contrées, il est curieux de connaître l’idée primitive d’une histoire de guerre ou d’amour racontée par tant de voix, de rechercher comment elle a grandi et comment elle s’est modifiée d’un pays à l’autre.

Cette poésie des chants populaires si abondante, si belle, a été long-temps négligée ou dédaignée. Les Danois furent les premiers, si je ne me trompe, qui se mirent à rassembler leurs traditions de guerre et d’amour dispersées dans des manuscrits incorrects, ou subsistant seulement dans la mémoire du peuple. En Angleterre, Percy a fait de son premier essai un livre excellent. Des érudits distingués, Jamieson, Ellis, Ritson, ont poursuivi après lui la même tâche ; mais aucun des nouveaux recueils n’a pu encore atténuer le mérite des Relics of ancient poetry. En Écosse, la terre du continent la plus riche en légendes et en ballades, la même moisson a été faite à différentes reprises par des mains habiles, et Walter Scott lui-même a, comme on le sait, recueilli les chants du Border. En Allemagne, Herder, qui avait à un haut degré le sentiment de la poésie vraie et inspirée, publia un recueil de chants populaires empruntés à différentes nations. C’est un livre charmant, qui présente, dans un ordre assez restreint, les scènes dramatiques les plus émouvantes, les images les plus variées et les plus caractéristiques. Une fois l’impulsion donnée, dans cette laborieuse Allemagne, dans ce pays d’étude et de poésie, chaque érudit s’est mis à l’œuvre, et je n’essaierai pas d’énumérer tous les recueils de chants populaires publiés çà et là dans les villes les