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produite par une grande montagne derrière laquelle le soleil se cache. Derrière cette montagne s’élève aussi la voûte du ciel, qui repose sur une forte muraille ; quant à la muraille, elle ne repose sur rien. Ces étranges idées, et d’autres qui ne l’étaient guère moins, furent long-temps admises comme des faits positifs par la crédulité populaire. Au commencement du XVe siècle, Harding, l’auteur de la chronique rimée d’Angleterre, plaçait en tête de son livre une carte où l’on voit, au bord de la mer du Nord, l’enfer représenté sous la forme d’un château gothique avec cette inscription : The palace of Pluto, king of hell, neigbore to Scottz (le palais de Pluton, roi de l’enfer, voisin des Écossais).

Enfin le monde sortit de sa barbarie, l’esprit humain se dégagea des voiles épais qui l’environnaient ; la science, dont le flambeau ne jetait plus qu’une lueur pâle et tremblante au fond des cloîtres, reprit son mouvement, son essor, et la géographie, cette science des esprits studieux et pratiques, regagnant peu à peu l’espace qu’elle avait occupé autrefois, en conquit un nouveau. De grands évènemens contribuèrent à ses progrès : la migration des peuples, la propagation du christianisme et de l’islamisme, et les expéditions des Normands, ces terribles géographes qui faisaient leurs découvertes le glaive ou la torche à la main, à la lueur de l’éclair, dans le bruit de l’orage.

La prospérité commerciale des républiques italiennes et des cités de l’Allemagne produisit aussi d’excellens résultats géographiques. Les navires de Gênes, de Pise, de Venise, traversaient sans cesse la Méditerranée et s’en allaient jusqu’en Orient ; les navires de la Hanse exploraient les régions du Nord. L’Europe, l’Asie, l’Afrique, étaient connues. Restait encore une terre à découvrir, une terre dont quelques savans pressentaient l’existence, mais qui n’était indiquée sur les cartes que par une large main noire qu’on appelait la main du diable. Christophe Colomb paraît, et une ère nouvelle commence. Le génie des temps modernes dépasse en un seul jour toute l’antiquité ; le succès de ses tentatives accroît son audace. Dès ce moment, il s’égare sans crainte à travers un océan nouveau, il pénètre au sein des régions les plus reculées, il explore le monde, non plus comme un enfant qui marche d’un pas timide le long de son sentier, mais comme un homme dans la force de l’âge, qui est sûr de sa route et va droit à son but.

Toutes ces diverses phases de l’histoire géographique du monde ont été succinctement décrites par M. Lœwenberg. C’était une tâche difficile et fort compliquée. L’auteur nous paraît en avoir très bien compris l’ensemble et saisi les détails. On voit, à la simple lecture de son ouvrage, que c’est un homme expert dans la matière, qui a jeté dans un assez mince volume le fruit de plusieurs années d’études, et qui traite son sujet avec joie et amour. Il ne se borne pas à raconter les principaux faits qui ont contribué au développement des connaissances géographiques depuis l’expédition des Argonautes jusqu’à celle de l’Astrolabe ; il suit pas à pas les découvertes des philosophes et des savans, explique leurs théories et juge leurs systèmes. Tout son ouvrage est d’ailleurs conçu d’une façon fort nette et écrit avec clarté, ce qui n’est pas