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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

une joie orgueilleuse sur les ruines de Carthage ; demain, il s’élancera à travers les plaines de la Gaule, les forêts de la Germanie, et s’en ira au milieu de l’Océan se reposer sur les îles de Bretagne. Certes, toutes ces expéditions et ces conquêtes ne se faisaient guère dans un but scientifique ; mais la science pourtant en profitait ; au milieu du carnage des peuples, de la dévastation des contrées, la science recueillait son précieux butin d’observations, et la guerre donnait un enseignement au monde.

Sous le règne d’Auguste et de Tibère, Strabon écrit son traité de géographie avec une netteté, un savoir, une justesse d’esprit et de critique, qu’on ne retrouve chez aucun de ses prédécesseurs. Aujourd’hui encore, malgré ses erreurs et ses lacunes, cet ouvrage est un de ceux qu’on se plaît à rechercher et à lire. C’est l’un des monumens les plus intéressans de la littérature ancienne. Un siècle plus tard paraît Pline, qui, pour écrire son histoire naturelle, compulsa plus de trois mille livres, et qui nous a conservé dans cette compilation plusieurs fragmens d’anciens traités que nous avons perdus ; puis enfin vient Ptolémée, dont le livre peut être regardé comme le tableau le plus étendu des connaissances géographiques de l’antiquité, et dont le système, admis dans les écoles du moyen-âge, ne peut être décidément renversé que par Copernic.

Le développement des connaissances géographiques en était là, quand Rome succomba à l’invasion des hordes barbares, et avec elle s’affaissa l’édifice scientifique préparé pendant tant de siècles, et construit par tant de mains. Des contrées découvertes depuis long-temps et décrites plusieurs fois furent tout à coup oubliées, ou reléguées par l’imagination d’une race crédule dans un monde fabuleux. L’ignorance et la superstition étouffèrent la vive et nette intelligence de l’antiquité. À la place de la géographie des Ptolémée, des Pline, des Strabon, rédigée après une suite nombreuse d’observations et basée sur des faits, on vit se former une géographie biblique qui devint une sorte de dogme religieux. D’après cette géographie, le firmament repose sur quatre colonnes. Au-dessus est l’eau et au-dessus de cette eau est la voûte du ciel où habite l’esprit de Dieu. La terre a la forme d’une montagne qui s’élève en pointe, elle est fixée à la base de l’univers, et autour d’elle tournent le soleil, la lune et les étoiles. Sur la cime de la montagne, il y a une contrée entourée par l’océan, et au-delà de cet océan, à l’est, s’étend le paradis terrestre avec ses quatre fleuves.

Un moine égyptien, nommé Cosme, et surnommé le voyageur indien parce qu’il avait fait plusieurs voyages en Éthiopie, fit, à l’aide de la Bible, des pères de l’église et de quelques livres classiques, une étonnante topographie du monde. Selon lui, la terre est de forme carrée et tout entourée d’eau. Sa longueur est de quatre cents jours de marche et sa largeur de deux cents. L’eau qui environne la terre touche à une autre contrée que les hommes ne peuvent atteindre. C’est là qu’était le paradis terrestre. C’est de là que les quatre fleuves dont parle la Bible tombent sous l’océan, et viennent, par des canaux, arroser la terre que nous habitons. La succession du jour et de la nuit est