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ardent, et, il faut le dire, sa susceptibilité scolastique, ne lui permettent pas de rester dans les bornes d’une polémique calme et mesurée. Si elle se croit atteinte, elle s’exagère bien vite le sentiment de son offense. Elle passe en un instant du raisonnement à l’apostrophe, de l’admiration à l’outrage. Hier elle louait encore l’esprit, le caractère du pays qui l’avoisine ; demain, elle le condamne sans pitié. Hier, elle rendait justice à vos travaux, elle vous proclamait un de ses disciples, elle vous adressait, avec des paroles flatteuses, des diplômes honorifiques ; demain, elle efface d’un trait de plume tout le passé et vous appelle un ignorant. Il n’y a pas long-temps que M. Heine faisait encore école en Allemagne par sa prose et par ses vers. Le livre qu’il a récemment publié sur Bœrne lui a attiré de la part des mêmes journaux qui le louaient tant autrefois des invectives que nous rougirions de traduire. Les bruits de guerre qui nous ont tant occupés l’été dernier, les menaces de propagande, quelques lettres écrites sur les bords du Rhin par M. Frédéric Soulié, ont fait sortir de l’atelier de la presse allemande toutes les paroles haineuses et envenimées que nous croyions profondément ensevelies depuis 1813. Une éloquente brochure de notre ami Edgar Quinet a réveillé, avec toute sa fougue, l’esprit de la vieille Teutonie. Pour peu que cette effervescence allemande continue, les choses en viendront au point que nous n’oserons plus prononcer le nom du Rhin, chanter la chanson de Claudius, répéter les vers de Byron, ou jeter un regard du côté de Johannisberg, sans être véhémentement soupçonnés d’esprit d’usurpation et de propagandisme. Le mieux serait, si nous voulons avoir la paix, d’effacer de nos cartes le nom de ce fleuve ennemi, de rayer dans notre histoire les jours où il fut franchi par nos armées victorieuses, d’oublier qu’il existe, qu’il arrose une partie de nos frontières, et soupire au bord des provinces qui furent à nous !

Dans cette guerre engagée entre la presse d’Allemagne et la France, nous avons eu aussi notre part de récriminations, nous humble explorateur de littérature germanique. En voyant avec quelle animosité les journaux de par-delà le Rhin s’emparaient des deux derniers articles que nous avons donnés dans cette Revue sur les publications de l’Allemagne, nous nous sommes demandé d’où pouvait venir tant de colère, et nous nous le demandons encore. Avons-nous donc d’une plume sacrilége attaqué les grands noms dont l’Allemagne se glorifie ? Non, nous professons pour eux une sorte de culte et une profonde admiration. Avons-nous nié le mérite des vrais poètes comme Uhland, Ruckert et Tieck, des vrais savans comme Grimm, qui restent encore à l’Allemagne ? Non, et nous en appelons au témoignage même de ces hommes qui n’ont pas encore oublié, nous en sommes sûr, le jour où nous allions pieusement les visiter dans le cours de notre pèlerinage poétique. Avons-nous mis en doute la science des écoles, l’autorité des universités allemandes ? Non, nous nous honorons d’appartenir nous-même à l’une de ces universités, et nous n’avons pas coutume d’insulter le lendemain ceux à qui nous demandions des leçons la veille. Enfin avons-nous calomnié le caractère de l’Allemagne ? Non, nous avons au contraire, sans cesse et partout, loué les habitudes tou-