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l’eau sont tributaires de ce peuple ingénieux et infatigable ; il a vaincu les élémens, il leur fait payer son budget. Il y a deux cents ans que les Hollandais ont exécuté une entreprise que l’on pourrait croire impossible sans le secours des machines actuelles. Ils ont desséché tout le Beemster, et livré à la culture un terrain de plusieurs lieues d’étendue, jusque-là englouti sous les eaux. Maintenant, ils travaillent à dessécher le lac de Harlem. Ce lac a six lieues de longueur, trois de largeur et à peu près quatorze pieds de profondeur. Il en coûtera 20 millions pour faire cette opération ; mais, à la place de cette nappe d’eau qui ronge sans cesse ses bords et menace de s’étendre bientôt jusqu’à Amsterdam, on a calculé qu’on aurait dix-huit cents hectares de bonnes terres qui pourraient bien se vendre 800 francs l’hectare, et qu’on épargnerait chaque année les 60,000 francs employés à l’entretien des digues du lac. Dans l’île de Texel, il y avait un vaste espace de terrain sans cesse envahi par les flots de la mer. Une société l’a acheté, l’a fait entourer de digues, et va le revendre avec un bénéfice considérable. On ne comptait là, il y a sept ans, que vingt-cinq habitans. La construction des digues en a déjà amené plus de six cents.

Le chemin de fer qui va d’Amsterdam à Harlem est un travail étonnant de hardiesse. Il passe entre le lac et les vagues profondes de l’Y, sur un sol fangeux que l’eau mine de chaque côté. Il a fallu jeter là des millions de fascines, les couvrir de couches de terre, puis remettre des fascines, puis du sable et de la pierre ; bref, il a fallu créer, en quelque sorte, tout l’espace que ce chemin devait parcourir, car à la place où s’étend aujourd’hui le rail-way, il n’y avait qu’un marais.

Mais tous ces travaux ne sont rien comparés à ceux qui ont été faits à Amsterdam. Qu’on se figure une ville de deux cent mille ames, avec de larges rues, de magnifiques quais et une foule de grands et beaux édifices, toute bâtie sur pilotis. Pour la construction du palais, plus de vingt mille poutres ont été enfoncées dans le sol à trente ou quarante pieds de profondeur. Ce fait-là peut donner la mesure du reste. Un jour cette ville si riche, si fière de sa banque et de son pouvoir, fut menacée de périr, devinez par quoi ? Par un petit ver rapporté des Indes sur les bâtimens de commerce, et qui se mettait tout simplement à ronger les piliers en bois qui servent de base aux habitations. Il semblait que la Providence eût choisi tout exprès l’instrument le plus obscur pour humilier dans son orgueil une des reines du commerce. On ne peut se faire une idée des ravages produits par