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EXPÉDITION DE L’ASTROLABE.

aux peuples de l’Océanie, mais que, sur leur route, ils avaient dû châtier un barbare, un meurtrier de sujets français ; que le crime de Nakalassé était d’autant plus odieux, qu’il n’avait été amené par aucune provocation de la part du malheureux Buneau. « Voilà pourquoi, reprit le capitaine, j’ai ruiné Piva de fond en comble, et le même sort est réservé à tout chef vitien qui insulterait sans motif un navire de ma nation. La punition pourra être lente à cause des distances, mais elle atteindra toujours et tôt ou tard les coupables. » En terminant, M. d’Urville ajouta que la France n’avait qu’un ennemi sur ces îles, Nakalassé, et qu’elle désirait être l’amie, l’alliée du roi Tanoa et du peuple de Pao.

Cette allocution, courte et précise, avait pu durer de six à huit minutes ; Simonet la traduisit en dialecte tonga à Latsiska, qui se chargea de la développer en langue vitienne. Jaloux de montrer ses talens, cet interprète en fit une véritable harangue, qui dura près de trois quarts d’heure. Toutes les finesses du geste et de la voix, toutes les ressources de la parole furent mises en jeu par l’orateur, qui se recueillait de temps à autre, soit pour préparer ses argumens, soit pour observer les impressions de l’auditoire. Le morceau produisit un effet profond, et dans tous les yeux l’éloquent Latsiska pouvait lire la preuve de son succès. Par intervalles, les chefs interrompaient le discours pour s’écrier : Saga ! ( c’est juste), ou binaka ! (c’est bien). Quelques hommes seulement semblaient, au milieu de l’assentiment général, conserver un air triste et contraint. C’étaient les partisans de Nakalassé, consternés de sa défaite. Mais ils formaient une minorité imperceptible ; tous les autres se déclaraient franchement pour les Français. Ce qui avait surtout frappé ces peuples, c’était la rapidité du châtiment ; on s’était figuré que Nakalassé opposerait une grande résistance, et Tanoa lui-même n’en pouvait croire ses yeux, lorsqu’il vit, au point du jour, le fort de ce chef conquis et livré aux flammes.

Quand les discours furent terminés, on donna aux indigènes le spectacle d’un exercice à feu. Les matelots tirèrent à la cible, et à chaque coup heureux les sauvages témoignaient leur admiration par des cris. L’échange de quelques cadeaux suivit ce divertissement militaire ; puis on servit un grand kava. Les chefs se rangèrent en cercle ; on prépara la liqueur dans un immense plat en bois et de la manière que nous avons décrite. La première tasse fut offerte à un vieillard confondu dans la foule, et comme M. d’Urville s’étonnait de cette préférence : — c’est notre grand-prêtre, notre dieu, lui dit le