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EXPÉDITION DE L’ASTROLABE.

nécessaire, que, depuis cet attentat, Nakalassé portait des défis continuels à notre pavillon, en répétant avec arrogance qu’il attendait un navire de guerre français afin de se mesurer avec lui. Le pillage de la Joséphine lui avait procuré des fusils, de la poudre et des canons, et les peuplades voisines tremblaient devant ses menaces. La chute de ce barbare importait donc à l’honneur de notre marine et à la sécurité de nos relations dans ces parages.

Ces détails furent donnés au commandant d’Urville par un chef nommé Latsiska, qu’en passant devant l’île de Laguemba on avait pris en qualité d’interprète. Cet homme, qui appartenait à l’une des premières familles de Tonga-Tabou, jouissait d’une grande influence dans les îles Viti. Son concours était précieux à ce titre. L’expédition contre Nakalassé offrait plusieurs difficultés. La première était d’aborder les rivages de Piva, qui sont environnés d’écueils à une distance assez considérable. Avec beaucoup de peine, et après avoir plus d’une fois labouré les pointes aigües des coraux, les corvettes se trouvèrent enfin mouillées devant le village de Piva et à deux milles environ de sa forteresse. On pouvait de là distinguer cet ouvrage, qui ne manquait pas d’un certain art et qui tenait de sa position une grande force naturelle. Sur-le-champ M. d’Urville expédia son interprète Latsiska avec un des officiers de l’Astrolabe vers le chef suprême, le roi, dont la résidence était à Pao. Ce personnage se nommait Tanoa ; c’était un vieillard de soixante-dix ans, remarquable par sa longue barbe. Il reçut les envoyés du commandant avec toute sorte de prévenances, et protesta de son dévouement sincère pour les Français. Quand il fut question de Nakalassé : « Ne me parlez pas de cet homme, s’écria-t-il, il me fait horreur ; je désavoue ses crimes, et je fais des vœux pour qu’il en soit puni. Mais que voulez-vous ? il est jeune, il est fort, et moi je ne suis plus qu’un vieillard. Il a des fusils, il a des canons, et je n’ai que des zagaies. Je suis son maître, son souverain, et pourtant il m’a vaincu, il m’a forcé souvent à chercher un asile dans les îles voisines. » Comme les envoyés insistaient pour que le vieux chef fît cause commune avec les Français, Tanoa ajouta avec une tristesse qui semblait sincère : « Je ne le puis ; Nakalassé a un parti dans ma capitale ; je suis entouré, surveillé par ses amis. Mais, continua le vieillard en s’animant, marchez contre lui, chassez-le de ses états, je dirai : C’est bien ; et s’il cherche un asile sur mon territoire, il n’y aura pas de grace pour lui. Quoiqu’il ait épousé ma nièce, je le tuerai de mes mains et le mangerai. » Après ces paroles, il n’y avait plus à insister. Les deux envoyés se retirèrent