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a même été sur ces plages plus pur et plus glorieux : l’Évangile n’y a point eu le bûcher pour auxiliaire.

Les missionnaires de Gambier racontèrent aux officiers des corvettes par quels prodiges de patience ils étaient venus à bout d’établir leur empire sur les naturels. Chez ces tribus, ce n’est pas le fanatisme qui domine, mais l’indifférence. Elles ne tiennent pas à leur culte, mais elles ne se passionnent pour aucun. Avec une pareille disposition des esprits la ferveur arrive lentement, et, sans la ferveur, point de néophytes. Ce n’est pas tout : il fallait rendre intelligibles à ces races abruties des mystères religieux que la plus haute raison ne saurait pénétrer. Les apôtres y épuisèrent toutes les ressources de leur piété, tous les trésors de leur persévérance. Ils fabriquaient de petites croix en osier et venaient les planter devant la case des chefs, afin de les familiariser avec la vue de cet emblème. Pour expliquer le dogme de la trinité, ils avaient adopté la feuille du trèfle, qui semblait résumer ce symbole des trois personnes en une seule. Chaque jour c’étaient de nouveaux efforts inspirés par la dévotion la plus ingénieuse. Rien ne réussissait pourtant. Alors les missionnaires appelèrent à leur aide des moyens plus profanes. Ils avaient apporté quelques outils et une petite pharmacie : ils mirent tout cela au service des naturels, ne se réservant rien pour eux-mêmes. De leurs mains ils creusèrent des puits, bâtirent des cases et entreprirent de construire une chapelle en bambous. Pendant ce temps, le chétif bagage s’épuisait sans se renouveler ; leurs vêtemens s’usaient, et ils étaient obligés d’en surveiller attentivement la conservation. Qu’on juge de leur embarras ! Eux qui blâmaient la nudité chez les indigènes, ils étaient à la veille de n’avoir plus rien pour se couvrir, et d’énormes solutions de continuité dans leur costume les mettaient en infraction journalière avec les préceptes qu’ils enseignaient. Enfin tant d’héroïsme, tant de patience, furent couronnés de quelque résultat. Des secours arrivèrent d’Europe, et l’abjuration d’un grand chef décida du sort de l’archipel.

Depuis ce temps, les îles de Gambier ont changé d’aspect. À la promiscuité on a vu succéder les unions régulières ; des mœurs réservées ont remplacé la licence d’autrefois. Quelques Français, fixés sur les lieux, se sont empressés de donner l’exemple en choisissant des femmes parmi les naturels et en élevant leurs familles à l’européenne. Une sorte de civilisation matérielle s’est introduite avec le culte nouveau et l’a rendu cher par des bienfaits aisément appréciables. Avant l’arrivée des missionnaires, ces peuples se faisaient la guerre pour