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EXPÉDITION DE L’ASTROLABE.

Laval, Guillemard et l’évêque de Nilopolis. Deux mille ames environ peuplent ce petit état insulaire, et relèvent de ce double pouvoir temporel et spirituel. C’est un noyau d’église qui, sans les jalousies de la société biblique de Londres, se serait bientôt étendu dans toute la Polynésie. Le commandant d’Urville avait quelques instructions au sujet de cet établissement. Il expédia d’abord à l’évêque les ballots qui lui étaient destinés, et alla ensuite lui rendre visite dans l’île d’Aokena, lieu de sa résidence. Le lendemain, l’évêque vint à bord en grand costume, et le roi des Gambier crut à son tour devoir honorer les corvettes de sa présence. Chacun de ces dignitaires se vit saluer de neuf coups de canon, et le pavillon de l’archipel fut hissé aux mâts des navires. Cet échange de bons procédés continua des deux côtés. Le roi envoya aux corvettes ce qu’il avait de meilleur, des fruits à pain, des poules, des cocos, des bananes, le commandant se fit un plaisir de lui offrir des objets qui le comblèrent de joie : un fusil deux coups, de la poudre, des étoffes et un habillement complet.

Un jour avait été fixé pour une messe solennelle qui devait se célébrer en plein air sur le rivage. Elle eut lieu le 12 août. Dès le matin, les corvettes avaient été pavoisées ; vers les neuf heures, l’état-major en grande tenue et les équipages en armes descendirent sur la plage de Mangareva. L’évêque officia, et tous les personnages des îles Gambier parurent à la cérémonie. Au premier rang figurait l’ancien grand-prêtre Matoua, géant de six pieds ; puis venaient, la reine et sa tante, coiffées toutes les deux d’un chapeau de paille et vêtues d’une robe d’indienne. Le roi, assis sur une sorte d’estrade, avait endossé une redingote en drap bleu et portait pour la première fois des souliers et des bas qui semblaient l’inquiéter beaucoup, et dont il se débarrassa après le service. Les princesses n’avaient pas poussé si loin l’étiquette ; elles étaient demeurées pieds nus. La population s’échelonnait à quelque distance, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, tous accroupis sur leurs talons. Aux chants du prêtre, ils répondaient en chœur avec beaucoup d’ensemble et avec un accent guttural des plus prononcés. Quand l’office fut terminé, l’évêque adressa un petit sermon en français aux équipages, et un autre en langue indigène aux insulaires de Mangareva, qui l’écoutèrent dans le plus profond recueillement. Ce spectacle était plein d’émotion et d’intérêt ; il rappelait les premières scènes de la Conquête du Nouveau-Monde, quand des milliers d’Indiens s’inclinaient devant le crucifix d’un moine et signalaient leur soumission par de grandes abjurations publiques. Le triomphe du catholicisme