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moins curieux. Dans ses recherches sur les causes de l’insalubrité de la campagne romaine, sur les procédés agricoles des anciens, sur le revenu des propriétés rurales, sur la patrie des végétaux nutritifs, sur la naturalisation en Italie de plusieurs races d’animaux, l’auteur a su joindre des observations vraiment utiles à des caprices d’érudition fort piquans. Nous ne lui reprocherons pas d’avoir été incomplet en parlant des diverses conditions de fermage et particulièrement du colonat, puisqu’il promet un travail spécial sur cette institution trop peu connue, qui a marqué la transition de l’esclavage antique au servage du moyen-âge.

Au début du quatrième livre, consacré aux institutions administratives et financières, nous retrouvons un mémoire, déjà inséré parmi ceux de l’Académie des Inscriptions, sur le caractère des lois agraires chez les Romains. Par quelle fatalité un pareil sujet est-il, en quelque sorte, de circonstance aujourd’hui ! Il est malheureusement vrai qu’il se trouve chez nous des fanatiques dont le dernier mot est le partage et l’égalisation des fortunes. Il ne serait peut-être pas inutile d’apprendre à ces tristes économistes ce qu’étaient les lois agraires des Romains, dans la crainte qu’ils ne crussent leur folle utopie autorisée par l’exemple des républicains de l’antiquité. Lorsque Rome jugeait à propos de déposséder un peuple vaincu, elle confisquait à son profit une partie des terres conquises : cette réserve devenait un domaine public sous le nom d’ager publicus. Or, les patriciens abusaient de leur crédit pour obtenir à perpétuité le bail de ces terres conquises ; la faible redevance qu’ils versaient annuellement dans les caisses de l’état devenait insensiblement moins onéreuse par la dépréciation journalière du numéraire ; après des siècles, elle était presque nulle, de sorte que ces fermiers du trésor étaient, sinon des propriétaires en titre, au moins les paisibles usufruitiers de ces vastes domaines qu’ils transmettaient héréditairement avec leur fonds patrimonial. L’usurpation était scandaleuse. La loi agraire de Licinius Stolo, renouvelée par les Gracchus, avait pour but de mettre un terme à ce désordre en déclarant qu’à l’avenir nul ne pourrait posséder plus de cinq cents jugères (cent vingt-six hectares) de ces terres publiques : la propriété particulière n’était aucunement menacée. Cette interprétation a été savamment développée par Heyne, Niebuhr, et récemment par M. Ch. Giraud d’Aix : nous l’adoptons pleinement, parce qu’elle est suffisamment justifiée par les textes, qu’elle est conforme à l’esprit et à la langue de la jurisprudence romaine[1], et qu’elle a pour elle la vraisemblance historique. Nous ne pouvons donc approuver M. Dureau de La Malle d’être revenu à l’opinion vulgaire, et de croire que la

  1. Les mots possessio et possidere se rapportaient, dans la langue juridique des Romains, à l’idée de jouissance, et non pas à celle de propriété, comme chez nous. M. Dureau de La Malle s’étonne que cette distinction, développée par Appien d’Alexandrie n’ait pas été indiquée par les écrivains romains qui ont parlé des lois agraires. C’est qu’en général, quand on écrit pour ses compatriotes, on ne prend la peine d’interpréter les mots dont la signification doit être généralement connue.