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LITTÉRAIRE.

Les doléances sur l’épuisement des auteurs et sur la satiété du public sont passées en habitude. Il ne faut pas dissimuler le mal ; il ne faut pas non plus l’exagérer. La presse, dont la fonction est d’alimenter l’esprit public, répond à un besoin trop naturel, trop irrésistible, pour que la société puisse jamais s’y soustraire. Mais le goût des lecteurs change souvent, et chaque révolution littéraire fait des victimes. Lorsque la vogue a pris possession d’un des coins du vaste domaine des arts, la troupe servile des imitateurs s’y porte en foule : la spéculation s’y évertue jusqu’à ce qu’elle ait atteint le ridicule. Alors le public, long-temps ébloui, se laisse aller au désenchantement, et en traverse rapidement toutes les phases, depuis la fatigue jusqu’à la répulsion. À un engouement puéril succède une sévérité souvent excessive. Un cri de révolte est poussé, et aussitôt la vogue se transporte ailleurs, entraînant à sa suite la multitude indolente. Ceux qui sont froissés dans ce mouvement, auteurs ou libraires, se plaignent avec amertume et prédisent une ruine générale ; il n’y a pourtant pas autre chose qu’une crise de transformation. L’ardeur intellectuelle et commerciale, éteinte sur un point, va se ranimer d’un autre côté ; le centre d’activité s’est déplacé sans que le principe vital se soit affaibli de façon à causer des inquiétudes sérieuses.

La littérature romanesque, ou, pour mieux dire, la spéculation sur les romans, subit présentement une de ces crises ; elle est beaucoup moins favorisée que par le passé. Il y a cinq à six ans, on fabriquait en ce genre plus d’un volume par jour ; pendant l’année qui vient de finir, il a fallu un peu