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des musulmans a cet avantage sur toutes les autres, de récréer l’imagination ; ils soutiennent que celui qui nous fera revivre un jour pour le jugement nous a donné par anticipation quelques instans de vie à l’origine des siècles, et que tous les hommes futurs, réunis dans une vallée, sous la forme de fourmis intelligentes, ont promis solennellement adoration et obéissance au Dieu qui venait de les créer. M. Lamennais n’a pas même voulu se rappeler toutes ces hypothèses, ni la métempsychose si chère aux disciples anciens et modernes de Pythagore, ni cette vie antérieure et bienheureuse, imaginée par Platon, reçue avec empressement par les poètes, et qui a servi de base à l’hérésie des carpocratiens. Qu’est-ce en effet que toutes ces théories qui veulent expliquer la transmission de la faute par une prétendue identité métaphysique, tandis qu’il ne peut y avoir d’imputation morale sans l’identité personnelle, qui implique la conscience et la mémoire ? Ces vaines fictions ne servent qu’à montrer que le commentaire humain d’une croyance religieuse est le plus souvent une tentative insensée, où viennent échouer les intelligences les plus hautes.

À la suite de cette discussion sur le péché originel, M. Lamennais prend soin d’insinuer que cette théorie catholique n’est pas une tradition universelle ; qu’il n’y a d’universelle que la croyance à la chute de l’homme, et que cette croyance peut être interprétée dans un sens favorable à ses opinions. L’insistance qu’il met à faire cette remarque n’a rien qui doive nous étonner, puisqu’en effet il semble résulter de ses principes que, si la tradition du péché originel était universelle, il se verrait forcé d’admettre lui-même ce dogme « sombre, lugubre et désespérant. » On a bien plutôt lieu d’être surpris de ne pas rencontrer plus souvent, dans cet ouvrage, des appels à la tradition, à la raison commune. D’un bout à l’autre de l’Esquisse, M. Lamennais parle en son propre nom, expose ses théories comme si l’autorité de sa parole suffisait pour les faire admettre, ou les démontre au moyen de l’expérience et de la raison individuelle. Il semble qu’il oublie entièrement son propre criterium de la certitude, exposé en tête de l’ouvrage. On dirait qu’en renouvelant cette déclaration de l’impuissance radicale de notre raison, au moment même où il allait user si largement de son droit d’initiative, il n’a voulu que protester de sa fidélité à ses principes.

Une seule fois, dans ces trois volumes, l’auteur paraît prêt à subir le joug qu’il prétend s’être imposé. C’est à propos de la tradition sur les anges : il n’en est pas, dit-il, de plus ancienne ni de plus géné-