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Dieu et coéternel à lui, sans admettre l’existence simultanée de choses qui s’excluent, et sans renverser la philosophie tout entière, la science humaine, toute connaissance et toute pensée. Il n’y a pas de mal, parce que, le bien étant identique à l’être et le moindre bien étant un moindre être, l’absence radicale du bien est l’absence même de l’être ; et le mal absolu est égal à zéro. Le mal absolu n’existe donc pas dans la nature des choses.

Quant au mal relatif, qui n’est que l’absence d’une perfection, demander pourquoi il existe dans le monde, c’est demander pourquoi le monde est fini, et pourquoi Dieu, en créant, ne s’est pas reproduit lui-même. Le mal n’est que la limite, le plus grand mal n’est que la plus grande limite. Cette solution est aussi celle de Leibnitz, et c’est la solution véritable : elle s’étend à tout, au mal métaphysique ; au mal physique, la douleur ; au mal moral, le péché. Il y a plus, le péché est la condition nécessaire de la liberté ; Dieu nous a rendus capables du mal pour que nous puissions faire le bien par choix. Il vaut mieux être placés plus haut dans l’échelle des êtres, avec le pouvoir de descendre par une dégradation volontaire, que si Dieu nous avait relégués aux derniers rangs en nous privant de la liberté. Cette doctrine nous rappelle que, dans la République et dans le Gorgias, Platon voit un bien dans la douleur même, quand elle est offerte par l’homme et acceptée par la Divinité en expiation des fautes commises. La seule objection qui demeure se tire du degré de l’imperfection ; car enfin, s’il fallait nécessairement qu’il y eût du mal, tant de mal était-il nécessaire ? C’est à cela que Leibnitz répond que ce monde est le meilleur des mondes possibles, sauvant ainsi la bonté de Dieu, dit M. Lamennais, aux dépens de sa liberté. M. Lamennais aime mieux dire que le monde va toujours en s’améliorant, et que, s’il ne peut, à cause de sa nature même, arriver à la perfection, il s’en rapproche sans cesse par un progrès continu qui ne s’arrêtera jamais. Nous avons vu que ce système n’est pas plus favorable que celui de Leibnitz à la liberté de Dieu ; mais il échappe du moins au roman de Candide et à d’autres objections non moins fortes. Candide est d’autant plus redoutable pour les optimistes qu’il les attaque sur les faits particuliers, et qu’ils ne peuvent guère se défendre que par des raisons générales ; car, pour eux, descendre dans les détails, c’est presque toujours compromettre leur théorie, et fournir des élémens à la science de Pangloss. Un des plus illustres optimistes de notre temps, que son savant traducteur, M. Joly, n’hésite pas à appeler le Cuvier de l’Angleterre, le révérend William