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ESQUISSE D’UNE PHILOSOPHIE.

infinie, tantôt dans le monde, comme finie. Sont-ce là deux substances ? n’en est-ce qu’une seule ? C’est une seule et même substance, comme vous en faites la démonstration. Le monde et Dieu ne diffèrent donc que par leurs essences ; ils sont donc consubstantiels. Or, qu’y a-t-il de commun que la consubstantialité entre vos trois personnes divines ? C’est, dites-vous, qu’il y a pour les personnes divines communion de la substance infinie. Mais, finie ou infinie, elle n’en est pas moins la même sous une modalité différente, et, la substance demeurant radicalement une, la consubstantialité universelle subsiste. Vous vous ôtez ainsi la division numérique par substances, et la division, la séparation d’êtres la plus complète qui vous reste, est précisément celle que nous exprimons par le mot de personne ; c’est comme personne et uniquement comme personne que je me distingue de ce qui n’est pas moi. Cette distinction est-elle claire et complète ? ai-je l’idée d’une distinction plus profonde ? d’une séparation plus entière ? Non, de toute évidence. Vos trois personnes sont donc aussi séparées qu’on puisse l’être, avec l’unité de la substance ; elles sont trois dieux ou elles ne sont rien.

Et pourquoi vous en tenir à une trinité ? « Il y a, dites-vous, dans l’intelligence divine ou dans le verbe divin, premièrement une pensée unique, qui est lui-même ; secondement, des idées distinctes représentatives de tous les êtres particuliers ; troisièmement, quelque chose qui détermine la distinction actuelle de ces idées particulières. » C’est une trinité nouvelle dans une des personnes de la trinité ; vous aviez là les élémens d’une trinité de trinités, presque tous les termes d’une ennéade ; et cette entreprise même n’aurait pas été plus nouvelle, puisque Théodore d’Asiné, l’admirable Théodore, comme l’appelle Proclus, l’a tentée autrefois, suivi en cela par bien des imitateurs. Mais vous êtes loin de l’école d’Alexandrie, et je n’hésite pas à le dire, quoique ce soit une grande école, vous êtes bien au-dessus d’elle. Les théories alexandrines, ces trois hypostases dont chacune en contient trois autres, ne seraient plus possibles au XIXe siècle ; et pourtant que de grands esprits elles ont abusés dans des siècles éclairés, et malgré l’érudition philosophique la plus grande qui fut jamais !

On aurait révolté l’école d’Alexandrie tout entière en plaçant, comme le fait M. Lamennais, la puissance avant l’intelligence, et l’amour. Cependant M. Lamennais démontre par des raisons sans réplique cet ordre d’antériorité logique entre ces trois attributs, ou, comme il les appelle, ces trois personnes coéternelles. Pourquoi,