Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/554

Cette page a été validée par deux contributeurs.
546
REVUE DES DEUX MONDES.

intermédiaire entre ces deux conceptions, c’est sortir des faits, de la psychologie ; c’est tenter l’impossible, c’est construire une conception qui ne peut être conçue, comme dans la méthode on a affirmé une source de certitude, quoique aucun esprit individuel ne puisse rien affirmer avec certitude. C’est, de plus, faire ce qui est inutile, et même ce qui est contraire au but que l’on poursuit ; car plus les attributs de Dieu seront indissolublement unis, plus chacun d’eux sera éloigné d’avoir une vie, une existence propre, distincte de celle des deux autres, et plus l’idée que nous nous faisons de Dieu approchera de la perfection.

Lorsque Dieu pense à lui et parle de lui, il dit moi, sans contredit ; et ce moi, c’est moi, puissance infinie, intelligence infinie, amour infini. La puissance de Dieu n’a pas une conscience distincte de Dieu, et distincte de la conscience de l’intelligence. Si vous dites que ce sont trois consciences distinctes, trois moi distincts, d’abord c’est une hypothèse ; ensuite, cette hypothèse est une erreur S’il y a trois moi en Dieu, il y a trois dieux, au moins pour la raison, et trois dieux imparfaits : un dieu-amour, qui n’est pas intelligence, un dieu-intelligence, qui n’est pas amour, un dieu-puissance, qui n’est ni intelligence ni amour. Pendant que vous épuisez ainsi un esprit très pénétrant à faire une vérité philosophique de ce qui est et doit rester un mystère, vous ressemblez aux mystiques qui racontent l’ineffable, et cherchent à imposer à la raison humaine des idées dont elle ne comprend ni la vérité ni la possibilité.

Vous reconnaissez vous-même l’infirmité de notre esprit et de notre langage, et c’est en gémissant sur votre impuissance que vous substituez ce mot de personne à celui d’attribut. Mais attribut au moins se conçoit, tandis qu’aucun esprit ne comprendra jamais trois personnes dans un seul être. Vous rejetez avec raison le mot d’hypostase, employé par les méléciens et par les philosophes de l’école d’Alexandrie ; mais si l’église d’Occident a préféré le mot de personne, vous le savez, ce n’est pas tant pour dire quelque chose que pour ne pas se taire. Quand on admet la révélation, on est forcé d’admettre le dogme de la trinité comme mystère ; qu’il y ait des mystères dans une religion, quoi de plus simple et de plus nécessaire ? Mais des mystères en philosophie, cela peut-il se supposer, ou même se concevoir ? Et trois personnes, qui ne font qu’un seul être, qu’est-ce autre chose qu’un mystère ?

La substance, dites-vous, se manifeste tantôt en Dieu, comme