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tive. Plus tard, et lorsque l’esprit grec se fut doublement éprouvé à l’école de Socrate et à celle de l’expérience et du temps, sa hardiesse ne parut pas affaiblie ; et pour ne citer qu’un nom, Aristote put sans témérité, de cette même main qui élevait à la logique et à l’histoire naturelle des monumens immortels, écrire sa Rhétorique, sa Poétique, sa Morale, sa Physique générale, son Économique, pour terminer enfin dans la philosophie première le cercle entier de la science universelle. Il y a deux mille ans que se faisaient ces grandes choses ; l’esprit humain, jeune encore, avec moins d’étendue et de sagesse, avait, à cause de cela même, plus d’audace, plus d’ardeur, une plus vigoureuse puissance d’initiative. Aristote recommencerait-il aujourd’hui, s’il avait derrière lui cette centaine de philosophies qui ont succédé à la sienne et qui, moins heureuses pour la plupart, n’ont pas survécu à leurs auteurs ?

Le moyen-âge fut aussi une époque de vastes conceptions systématiques. Ces sortes d’épopées se conçoivent également quand tout est nouveau, et que l’esprit humain a tout à faire par ses propres forces, et quand, soutenu par la foi dans une autorité, il se persuade que son effort doit tendre uniquement à coordonner ses croyances. Il suffit de rappeler la Somme de saint Thomas, prodigieuse encyclopédie, où toute la science, toute la foi, toute l’érudition de ce temps se développe et s’ordonne sous l’exacte discipline du syllogisme ; lumineuse et imposante synthèse qui n’aspire à rien moins qu’à reproduire l’ordre absolu des choses, Dieu d’abord dans les profondeurs de l’unité, puis la Trinité, les personnes divines, la création, les lois générales du monde, l’homme enfin. C’est là précisément le plan de l’Esquisse d’une philosophie, et c’est, comme on voit, une très ancienne et très glorieuse origine.

Peut-être qu’en un temps qui n’est pas loin de nous, l’auteur de l’Esquisse n’avait pas de plus haute ambition que de rassembler, à l’exemple du docteur angélique, dans l’unité du dogme chrétien, tous les élémens scientifiques accumulés par le progrès des âges. Mais il ne s’agit plus aujourd’hui de refaire la Somme de saint Thomas : c’est une philosophie que M. Lamennais nous donne ; il est entré sans retour dans cette famille de libres penseurs dont Descartes est le père, et qui doit être fière de le recueillir dans son sein, après une séparation qui n’a pas été sans orages.

Cette participation éclatante et fougueuse aux luttes religieuses et politiques n’aura donc été qu’un épisode dans la vie de M. Lamennais, et cette vie était vouée tout entière à l’établissement d’un sys-