Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/536

Cette page a été validée par deux contributeurs.
532
REVUE DES DEUX MONDES.

à Napoléon, qui tenait tant à être Français, que sa famille était originaire de France ? »


Pour n’avoir plus la même valeur politique aujourd’hui, la découverte de M. Tastu n’en est pas moins intéressante, et si j’avais quelque voix au chapitre des fonds destinés aux lettres par le gouvernement français, je procurerais à ce bibliographe les moyens de la compléter. Il importe assez peu aujourd’hui, j’en conviens, de s’assurer de l’origine française de Napoléon. Ce grand capitaine, qui, dans mes idées (j’en demande bien pardon à la mode), n’est pas un si grand prince, mais qui, de sa nature personnelle, était certes un grand homme, a bien su se faire adopter par la France, et la postérité ne lui demandera pas si ses ancêtres furent Florentins, Corses, Majorquins, ou Languedociens ; mais l’histoire sera toujours intéressée à lever le voile qui couvre cette race prédestinée, où Napoléon n’est certes pas un accident fortuit, un fait isolé. Je suis sûr qu’en cherchant bien, on trouverait dans les générations antérieures de cette famille des hommes ou des femmes dignes d’une telle descendance ; et ici les blasons, ces insignes dont la loi d’égalité a fait justice, mais dont l’historien doit toujours tenir compte, comme de monumens très significatifs, pourraient bien jeter quelque lumière sur la destinée guerrière ou ambitieuse des anciens Bonaparte. En effet, jamais écu fut-il plus fier et plus symbolique que celui de ces chevaliers majorquins ? Ce lion dans l’attitude du combat, ce ciel parsemé d’étoiles d’où cherche à se dégager l’aigle prophétique, n’est-ce pas comme l’hiéroglyphe mystérieux d’une destinée peu commune ? Napoléon, qui aimait la poésie des étoiles avec une sorte de superstition, et qui donnait l’aigle pour blason à la France, avait-il donc connaissance de son écu majorquin, et, n’ayant pu remonter jusqu’à la source présumée des Bonpar provençaux, gardait-il le silence sur ses aïeux espagnols ? C’est le sort des grands hommes, après leur mort, de voir les nations se disputer leurs berceaux ou leurs tombes.


George Sand.