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effaçât ces monumens affligeans. Je me suis refusé à croire ce fait… Je n’oublierai cependant jamais qu’un jour, me promenant dans le cloître des dominicains, je considérais avec douleur ces tristes peintures : un moine s’approcha de moi, et me fit remarquer parmi ces tableaux plusieurs marqués d’ossemens en croix. Ce sont, me dit-il, les portraits de ceux dont les cendres ont été exhumées et jetées au vent. Mon sang se glaça ; je sortis brusquement, le cœur navré et l’esprit frappé de cette scène.

« Le hasard fit tomber entre mes mains une relation imprimée en 1755 de l’ordre de l’inquisition, contenant les noms, surnoms, qualités et délits des malheureux sentenciés à Majorque depuis l’année 1645 jusqu’en 1691. Je lus en frémissant cet écrit : j’y trouvai quatre Majorquins, dont une femme, brûlés vifs pour cause de judaïsme ; trente-deux autres morts, pour le même délit, dans les cachots de l’inquisition, et dont les corps avaient été brûlés ; trois dont les cendres ont été exhumées et jetées au vent ; un Hollandais accusé de luthéranisme, un Majorquin de mahométisme, six Portugais dont une femme, et sept Majorquins prévenus de judaïsme, brûlés en effigie, ayant eu le bonheur de s’échapper. Je comptai deux cent seize autres victimes, Majorquins et étrangers, accusés de judaïsme, d’hérésie ou de mahométisme, sortis des prisons, après s’être rétractés publiquement et remis dans le sein de l’église. Cet affreux catalogue était clôturé par un arrêté de l’inquisition non moins horrible. »

M. Grasset donne ici le texte espagnol dont voici la traduction exacte : « Tous les coupables mentionnés dans cette relation ont été publiquement condamnés par le saint-office, comme hérétiques formels ; tous leurs biens confisqués et appliqués au fisc royal ; déclarés inhabiles et incapables d’occuper ni d’obtenir ni dignité ni bénéfices, tant ecclésiastiques que séculiers, ni autres offices publics, ni honorifiques ; ne pouvant porter sur leurs personnes, ni faire porter à celles qui en dépendent, ni or, ni argent, perles, pierres précieuses, corail, soie, camelot, ni drap fin ; ni monter à cheval, ni porter des armes, ni exercer et user des autres choses qui, par droit commun, lois et pragmatiques de ce royaume, instructions et style du saint-office, sont prohibées à des individus ainsi dégradés ; la même prohibition s’étendant, pour les femmes condamnées au feu, à leurs fils et filles, et pour les hommes, jusqu’à leurs petits-fils en ligne masculine ; condamnant en même temps la mémoire de ceux exécutés en effigie, ordonnant que leurs ossemens (pouvant les distinguer de