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REVUE DES DEUX MONDES.

pour exécuter ce décret en un clin d’œil, font comme l’équipage battu de la tempête, qui se sauve en jetant ses richesses à la mer. Pleure donc qui voudra sur les ruines ! Presque tous ces monumens dont nous déplorons la chute sont des cachots où a langui durant des siècles, soit l’ame, soit le corps de l’humanité. Et viennent donc des poètes qui, au lieu de déplorer la fuite des jours de l’enfance du monde, célèbrent dans leurs vers, sur ces débris de hochets dorés et de férules ensanglantées, l’âge viril qui a su s’en affranchir. Il a été cité, dans cette Revue, de bien beaux vers de Chamisso sur le château de ses ancêtres rasé par la révolution française. Cette pièce se termine par une pensée très noble et très neuve en poésie, comme en politique :

« Béni sois-tu, vieux manoir, sur qui passe maintenant le soc de la charrue, et béni soit celui qui fait passer la charrue sur toi ! »

Après avoir évoqué le souvenir de cette belle poésie, oserai-je transcrire quelques faibles pages que m’inspira le couvent des dominicains ? Pourquoi non ? puisque aussi bien le lecteur doit s’armer d’indulgence, là où il s’agit pour lui de juger une pensée que l’auteur lui soumet en immolant son amour-propre et ses anciennes tendances. Puisse ce fragment, quel qu’il soit, jeter un peu de variété sur la sèche nomenclature d’édifices que je viens de faire !

LE COUVENT DE L’INQUISITION.

Parmi les décombres d’un couvent ruiné, deux hommes se rencontrèrent à la clarté sereine de la lune. L’un semblait à la fleur de l’âge, l’autre courbé sous le poids des années, et pourtant celui-là était le plus jeune des deux.

Tous deux tressaillirent en se trouvant face à face, car la nuit était avancée, la rue déserte, et l’heure sonnait lugubre et lente au clocher de la cathédrale.

Celui qui paraissait vieux prit le premier la parole : Qui que tu sois, dit-il, homme, ne crains rien de moi ; je suis faible et brisé : n’attends rien de moi non plus, car je suis pauvre et nu sur la terre.

— Ami, répondit le jeune homme, je ne suis hostile qu’à ceux qui m’attaquent, et, comme toi, je suis trop pauvre pour craindre les voleurs.