Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.
47
DOCUMENS INÉDITS SUR MARIE STUART.

depuis, je n’ai osé me mettre en route que la nuit. » Elle se livrait donc à cette femme orgueilleuse qu’elle-même avait courroucée en s’emparant de ses armes et de ses titres, à une femme plus âgée qu’elle, jalouse, pleine de prétentions et de vanité, ayant tous les amours-propres, depuis la fierté la plus haute jusqu’à la coquetterie la plus puérile ; odieuse créature qui avait employé l’argent anglais à soudoyer des traîtres autour de Marie, qui l’avait entravée, entourée de piéges, embarrassée, trompée et perdue autant qu’il était en elle ; qui ne l’avait pas jetée dans le danger, il suffisait bien des imprudences de Marie pour la perdre, mais qui l’avait poussée et précipitée de toute sa force vers le dernier abîme ; s’entendant avec ses ennemis pour la renverser, avec ses amis pour la trahir, avec les bourgeois pour saper son autorité, avec les calvinistes pour la diffamer. Élisabeth fut joyeuse quand elle eut mis la main sur cette femme qui la gênait. Elle traîna en longueur le procès intenté par Murray contre sa sœur ; elle se plut à prolonger l’agonie et le déshonneur de Marie Stuart, et affectant une impartialité souveraine, heureuse de satisfaire sa vengeance, son orgueil et son dépit, elle laissa le glaive suspendu cruellement pendant près de vingt années au-dessus de la tête de Marie. Mais un jour il arrive que la prisonnière semble dangereuse à sa geôlière ; aussitôt Élisabeth résout de la tuer, non par le bourreau, mais par l’assassinat.

C’était en septembre 1572 ; le parti catholique de la captive se relevait. L’Écosse était lasse de Murray. Le joug des seigneurs qui avaient tué Darnley et livré à la potence leurs complices inférieurs paraissait dur au peuple ; les Hamiltons étaient en campagne pour la reine, lorsque le catholicisme frappa un grand coup, si grand qu’il vibre encore. Les Guises, que Charles IX soutenait, et qui traînaient à leur suite les municipalités catholiques, voulurent en finir avec le protestantisme en France. La plupart de ceux qui les gênaient furent massacrés en une nuit. La Saint-Barthélemy eut lieu. Tout le Midi tressaillit de joie. Le Vatican se para de fleurs et s’illumina de cierges. On vit rire Philippe II, qui n’avait jamais ri[1]. Ce qu’il y eut de rage et de douleur dans le Nord protestant est difficile à peindre.

Pendant que les courtisans d’Aranjuez s’étonnaient de voir un rayon et un sourire sur la figure de leur maître, Élisabeth, la reine du protestantisme, recevait l’ambassadeur français dans une chambre tendue de noir, éclairée par des cierges comme un cénotaphe, au milieu des

  1. Saint-Goar, ambassade d’Espagne ; manuscrit, Bibl. du roi.