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page la relève, l’emporte avec le linge, et court vers Marie Stuart. Celle-ci se dirige vers la porte d’entrée, la franchit, laisse le page la refermer en dehors pour arrêter toute poursuite, se jette dans un bateau amarré pour le service de la garnison, et rame elle-même. Il y avait des vedettes postées dans les environs par les amis de Marie. À peine le bateau est-il en mouvement, un homme, étendu sur le gazon de la rive opposée et placé là comme sentinelle par les Hamiltons, vit la barque glisser sur les eaux et s’avancer portant une femme debout, tenant par la main une jeune fille. Le voile blanc de la reine, bordé d’une frange pourpre, signal convenu de sa délivrance, flottait au vent. Bientôt les chevaux de George Douglas et de lord Seaton accourent au galop sur la berge : « Spiegato un suo velo bianco, con un fioco rosso, fe il segno concertato, a chi l’attendeva che ella veniva, al quale segno quello che era disteso in terra su la ripa del lago levatossi e con un altro segno advisati li cavalieri del vilagio, etc. » La reine s’élance aussitôt à cheval, part au galop, traverse le Frith, ne s’arrête que pour écrire à Bothwell, et atteint le château d’Hamilton, où bientôt une armée de six mille hommes, convoqués sous sa bannière par les Hamiltons, vient la rejoindre.

On sait que cette armée fut complètement battue à Langsyde. Elle fit assurément peu de résistance ; la perte qu’elle causa aux ennemis fut d’un seul homme[1]. Marie, placée sur une colline, voit cette déroute, prend la fuite, atteint l’abbaye de Dundrennan, fait dix lieues d’une seule traite, au galop, et, saisie d’effroi, se réfugie en Angleterre. C’est toujours ce premier mouvement qui décide les actions de Marie et qui la ruine. Sa cause n’était pas désespérée ; en l’absence de Bothwell, et soutenue par les Hamiltons, elle eût pu rétablir ses affaires. Mais elle posséda toujours l’élan du courage, jamais le courage de la patience. On lui représente vainement qu’Élisabeth est sa plus réelle ennemie ; elle veut tenter le sort. « C’est ma requête pressante, écrit-elle à cette reine dans une lettre datée de Workington, et conservée au Musée britannique[2], que votre majesté m’envoie chercher le plus tôt possible, car ma condition est pitoyable, je ne dis pas pour une reine, mais pour une simple bourgeoise. Je n’ai pas d’autre vêtement que celui qui me couvrait quand j’ai quitté le champ de bataille. Le premier jour, j’ai fait soixante milles à franc étrier, et

  1. Avertissement of the conflict in Scotland, archives d’Angl., 16 mai 1568.
  2. Mary to Elizabeth, Caligula, c. I, fol. 68.