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DOCUMENS INÉDITS SUR MARIE STUART.

Malheureuse ! elle ne prit point la tête de Lyndsay, et donna la sienne. À Édimbourg, le peuple l’accueille par des huées. On la nomme adultère, meurtrière, infâme ! Elle était surtout catholique. Les femmes l’environnent et la couvrent de malédictions. Les soldats font ondoyer sous ses yeux une bannière sur laquelle on a peint Darnley assassiné, et au-dessous : Vengeance !

Enfermée et gardée à vue dans la maison du prévôt, elle est séparée de ses femmes, et passe la nuit seule dans les larmes, entendant le bruit des pas mesurés des sentinelles qui la surveillent. Le matin, à travers les barreaux de sa fenêtre, elle voit encore la bannière accusatrice suspendue en face de ses croisées ; raffinement d’habile cruauté, que le génie humain sait reproduire à toutes les époques, chez tous les peuples, envers toutes les victimes, innocentes ou coupables. Ce besoin infernal de faire saigner la victime, cette jouissance cherchée dans l’agonie d’une créature misérable, arrêtèrent le tombereau de Marie-Antoinette devant les Tuileries, celui de Bailly sur le Champ-de-Mars. Cet aspect la jette dans le délire[1] ; elle arrache ses vêtemens, et se montre presque nue aux bourgeois, que la compassion saisit et qui s’armaient pour la délivrer, lorsque les seigneurs, craignant ce mouvement, la firent monter sur un mauvais cheval, à peine vêtue, la figure souillée de boue, ruisselante de larmes, entre Lyndsay et Ruthven, deux animaux sauvages sous figure d’homme. De sa prison, elle avait essayé de faire parvenir à Bothwell une lettre qui lui réitérait la promesse de ne l’abandonner jamais. La lettre fut interceptée, et l’on redoubla de rigueurs. Enfin elle arrive à sa nouvelle prison, au château de Lochleven, propriété de Douglas, un des confédérés, château situé au milieu d’un lac ; Marie n’a plus un seul ami, pas même Du Croc, témoin de tant d’imprudences contre lesquelles il s’est inutilement efforcé de la garantir, et qui s’entend avec les barons pour placer la couronne sur la tête de Jacques Ier, fils de la reine. Balfour, impliqué d’une manière si terrible dans l’assassinat de Darnley et ami intime de Bothwell, achète son propre salut en livrant les secrets de son ami, une cassette d’argent contenant les lettres de Marie à Bothwell et le célèbre band pour l’assassinat de Darnley. Les originaux de ces lettres et de ce band ne s’étant pas retrouvés, il est vraisemblable que les seigneurs, compromis comme Bothwell et Balfour, dans le complot contre Darnley, ont profité de l’occasion pour détruire la preuve matérielle de leur crime. Quant à la

  1. Jean Beaton son frère, 17 juin 1567.