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REVUE — CHRONIQUE.

de la mesure, à la hauteur du but : soyons forts avant tout ; loin de le redouter, faisons avec empressement, avec entraînement, ce que l’étranger n’aime pas que nous fassions ; soyons maîtres chez nous ; qu’importe après tout à la France que cette grande entreprise nationale, que ce fait d’autant plus digne d’elle qu’il n’a pas d’exemple, coûte quelques millions de plus ou de moins ?

Nous ne résistons pas ici à l’envie de répéter un mot bien simple, mais bien efficace que nous entendîmes nous-mêmes, il y a peu de jours, de la bouche d’un modeste ouvrier. Tout à son travail, pendant qu’un grand seigneur étranger faisait quelques observations contre le projet de loi, à peine paraissait-il prendre quelque intérêt à la conversation ; mais lorsqu’il entendit ces paroles : « Cela coûtera bien cher, » il nous montra tout à coup un front, un regard pleins de bon sens et de fierté, et dit : « De l’argent, monsieur ! la France aussi n’en manque pas ! »

C’est la réponse du pays. Au point où le débat a mené la question, ce n’est plus pour tout homme impartial, sans passion, qu’une affaire d’argent. Ici encore M. Guizot a parfaitement raison.

Faut-il fortifier la capitale, la mettre à l’abri d’un coup de main ? Il n’y a pas d’homme sérieux qui ose le nier. Comment nier en effet ce que Vauban, ce que Napoléon, ce qu’Haxo, Rogniat, Sébastiani, ce que tous les hommes de guerre et de grande politique ont constamment dit, répété et désiré de pouvoir faire ?

L’enceinte continue affaiblit-elle le système des forts détachés ? du camp retranché ? Non, mille fois non. M. le maréchal Soult nous l’a dit et répété à satiété : « L’enceinte continue, je m’en serais passé, mais je l’accepte parce qu’elle ne fait que renforcer mon système ; elle me donne plus que je ne voulais, mais elle ne m’ôte rien de ce que je croyais nécessaire. C’est une dépense qui, à mon avis, n’est pas indispensable, mais elle est loin d’être nuisible. Chargé de défendre Paris, je ne le défendrai que mieux à l’aide de l’enceinte continue. » C’est là évidemment ce que le maréchal a dit, ce qu’il a voulu dire, à travers les embarras de sa position et les irritations de son amour-propre.

Ici que M. le maréchal Soult nous permette une remarque. Dans tout ce débat, il a été, ce nous semble, sous l’empire d’une singulière préoccupation. Il paraissait craindre qu’une autre gloire ne prétendît s’élever, sur le terrain même de la guerre, à côté et au-dessus de la sienne, qu’on n’eût la prétention de lui en remontrer en fait de science militaire ; il semblait apercevoir une main audacieuse osant jeter un voile sur la noble figure du guerrier qui a défendu Gènes et combattu à Toulouse. C’est là ce que nous appelons sans hésiter une singulière préoccupation d’esprit. Nul n’a conçu semblable pensée ; nul homme de sens ne pouvait la concevoir. Lorsqu’on fait à ses adversaires l’honneur de les redouter, il faut en même temps leur accorder ce qui rend redoutable, de l’esprit et du bon sens. Il n’y a qu’une seule personne au monde qui ait fait bon marché de la gloire du maréchal Soult : c’est lui-même ; car c’est en faire bon marché, et c’est ne pas y croire, que d’imaginer