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le doute les souillures mêlées à ce que l’autre avait fondé. L’énergie du catholicisme s’est ravivée dans sa lutte avec la réforme. Aujourd’hui la réforme, en possession de son triomphe, est vaincue par sa victoire. Ce qui se passe en Angleterre et en Allemagne le prouve.

L’institution catholique a nourri de son lait énergique l’Europe moderne. Le palais, le temple et le trône de la puissance chrétienne ont surgi sous la main des papes. Mais le catholicisme avait pour instrumens des hommes, c’est-à-dire des vices ; et quand le pouvoir fut assuré, lorsque les colonnes et les degrés du temple étincelèrent aux yeux du monde ébloui, les maîtres s’endormirent dans leur autorité. Ce fut alors que la force antagoniste et secondaire, le doute, souffla comme l’orage et réveilla ce sommeil sous la pourpre, cette langueur sous la couronne. Œuvre qui touche à sa fin ; tout est détruit. Aussi voit-on le protestantisme effrayé reculer sur lui-même, comme s’il craignait sa puissance, comme s’il prévoyait sa propre destruction, comme si l’élément qui fait sa force commençait à exercer cette force pour le suicide.

On peut donc, sans blasphème et sans contradiction, réserver une part d’estime diverse à ces deux philosophies, à ces deux religions, à ces deux zones. Il n’est pas étonnant de voir reparaître même en Angleterre, et d’une manière que les publicistes n’avaient point prévue, le catholicisme, la loi qui embrasse et contient le protestantisme, fragment détaché, mais nécessaire, du vaste ensemble. Le principe qui affirme et le principe qui doute, l’autorité et l’examen, l’amour et l’ironie, la croyance et le soupçon, s’enchaînant dans le tissu et dans le mystère de l’existence et du monde, comme la vie est enchaînée à la mort, ne cesseront leur alliance et leur antagonisme qu’au moment où tout finira. Quand même la grande ère nouvelle, dont les ruines actuelles sont la lointaine prédiction, ne devrait commencer à se développer que dans des siècles avec une régularité féconde, la civilisation ne pourrait s’avancer que par la lutte soutenue des deux forces, tour à tour victorieuses et vaincues. Mais ces assertions paraîtront téméraires. Il semble en vérité que l’on ne puisse, dans la même piété d’ame et dans la même hauteur d’esprit, admirer les résultats providentiels des deux principes, ces nobles évêques qui civilisèrent la Gaule, et ces sublimes puritains qui fondèrent les États-Unis ; ces chrétiens de deux âges, les chrétiens de la foi sans mélange, fils de la première époque, et les chrétiens de l’examen, enfans de la réaction !


Philarète Chasles.