Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/460

Cette page a été validée par deux contributeurs.
456
REVUE DES DEUX MONDES.

relevait son front ridé, s’arrêtait, regardait Jeanne et se remettait travailler pour la mort. »



« Mais un jour, la beauté de l’enfant changea ;

« Le sourire de Jeanne devint plus grave ; on aperçut dans l’œil voilé de la vierge un rayon de l’âme de la femme.

« C’était une vie qui allait commencer pour elle, un nouveau destin qui s’annonçait ; c’était l’ombre sérieuse que projette devant soi la passion, quand elle va naître. »


Il y a du talent et de la sensibilité dans cette peinture ; mais le reste des œuvres de ce jeune ecclésiastique manquent d’originalité. M. Sterling a versifié des mythes sur Dédale, sur Aphrodite, sur Mirabeau et sur Jeanne d’Arc. Je n’aime point un mythe sur Mirabeau ; un mythe sur Dédale m’intéresse médiocrement. Le poète a consacré une description païenne à l’entrée de Jeanne d’Arc aux champs élyséens. La lumière pure et suave de Virgile, les ombres molles des chênes verdoyans, les douces promenades des ames heureuses sous les feuillages odorans, tout s’y trouve, et les voluptés du paganisme se réveillent autour de cette noble et chrétienne villageoise de la Lorraine. C’est pousser bien loin l’ardeur de l’imitation. Dans la plupart de ses poèmes, M. Sterling est moins classique et beaucoup plus métaphysique ; selon la coutume de ses compatriotes.

Les trois géans de la poésie anglaise, Milton, Shakspeare et Byron, ont lutté avec succès contre le penchant et le danger des muses septentrionales, contre la rêverie sans forme, l’analyse sans puissance, la subtilité sans fécondité, la maladie de la pensée, se dévorant elle-même dans ses cavernes. Milton, Shakspeare et Byron ont su trouver la forme, et l’ont consacrée sur l’autel du beau, en lui donnant le rhythme et l’image. Le Satan et l’Adam de Milton sont des formes vraies, ainsi que tous les personnages de Shakspeare. Wordsworth lui-même et William Cowper ont détaillé finement la simplicité des mœurs, l’humilité des conditions, les tristesses et les tendresses de la vie rustique ; cette réalité chez eux n’a jamais la prétention de la grandeur, elle possède la grace du vrai. Mais Spencer, au XVIe siècle, Cowley au XVIIe, Shelley au XIXe, et de nos jours Alfred Tennyson, ont essayé la poésie métaphysique, la poésie sans forme : le nuage qui passe dans le ciel et se disperse sous le vent qui souffle, la mélodie sans mesure et sans terme qui parcourt les feuillages de la forêt, l’encens qui fuit et qui caresse au loin l’espace. On est entraîné par un certain charme vers cette jouissance qui semble réunir