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LITTÉRATURE ANGLAISE.

L’affaissement du préjugé protestant se fait sentir de toutes parts ; on travaille à réhabiliter Marie Tudor : quelques savans, et surtout Patrick Fraser Tytler, l’Écossais, doué de cette patience et de cette aptitude au labeur que rien n’effraie et que rien n’étonne, ont déjà effacé plusieurs des taches de sang que la postérité et le protestantisme avaient imprimées sur la mémoire de la reine catholique. Tous les documens que M. Tytler a exhumés et réunis dans un récent ouvrage (England under the reigns of Edward VI and Mary, with the contemporary history of Europe ; illustrated in a series of original Letters never before printed, with historical introductions, etc.), concourent à prouver le mensonge des opinions généralement admises à cet égard. Le caractère de Marie (comme l’avait affirmé le père Griffet dans un ouvrage trop peu connu) a été faussé par l’inimitié de l’histoire ; l’héritage de son souvenir, transmis à ceux qu’elle avait combattus, n’a rencontré qu’injustice et colère ; la vengeance et la haine l’ont mis en lambeaux. Une nation marchant tout entière dans les voies de la réforme ne pouvait agir autrement envers la fidèle alliée de la papauté. Les historiens reconnaîtront-ils enfin que les peuples ont des passions, comme les hommes ?

« Je suis persuadé, dit M. Tytler (M. Tytler est presbytérien), que Marie Tudor était fort digne d’estime. Avant son mariage avec Philippe (elle avait trente-neuf ans alors), on ne peut lui faire qu’un seul reproche, si c’est un reproche, celui d’être restée fidèle à la religion romaine. C’est pour ce seul motif que Fox, Carte, Strype, tous les protestans zélés ont si mal parlé d’elle. Ses lettres inédites que je publie sont simples, pleines de bonté de cœur et de convenance. Elles contrastent singulièrement avec le pédantisme, l’affectation et l’obscurité du style d’Élisabeth. Nous appelons encore aujourd’hui cette dernière « la bonne Betty » (queen Bess), et sa sœur, « la Sanguinaire : » sobriquets fort mal appliqués. Après le mariage de Marie avec Philippe, il s’opère dans ce caractère aimable et confiant un changement graduel, dont on n’a pas observé les causes. Son cœur ardent et tendre est blessé par la froideur, la négligence et l’abandon qui récompensent mal son dévouement. Espérances flétries, affection payée d’ingratitude, il y a là de quoi changer les dispositions les plus heureuses. L’ombrage, le dégoût et la tristesse pénétrèrent dans une ame trompée. Elle laissa ses ministres, Pole, Gardiner et Bonner, opposer leurs efforts aux progrès de la réforme. Souvent, comme nous le prouverons, elle se montra indulgente et charitable quand ils se montraient inexorables et violens. » En effet, M. Tytler