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REVUE DES DEUX MONDES.

« — Quand cette chaîne d’or serait assez grande pour pouvoir toucher à la fois la terre et le ciel, j’aimerais mieux ne jamais l’avoir que de songer à un autre amour.

« Le chevalier se sentit ému. — Ma douce enfant, dit-il, je veux vous épouser, et je n’aimerai pas une autre femme que vous. »

Le morceau allemand qui répond à celui-ci est peut-être moins simple, mais il est plus poétique, plus richement développé, et se termine d’une manière plus complète que le chant hollandais :

« — Je voulais seulement t’éprouver, dit le chevalier ; si tu avais fait entendre un reproche ou une malédiction, à l’instant même je t’aurais quittée.

Un de nos amis de Hollande, M. Bogaers, l’auteur de deux charmans poèmes couronnés par l’Institut des Pays-Bas, se propose de publier un nouveau recueil de traditions et de chants populaires hollandais. Nous avons vu quelques-unes des pièces qui doivent faire partie de ce recueil, entre autres une légende qui a pour titre : les Pains de pierre. C’est un récit des plus dramatiques et des plus touchans, la description terrible d’une famine à Leyde, la chronique pieuse d’une sainte femme qui se prive du nécessaire pour soulager les misères du pauvre, tandis qu’à côté d’elle sa sœur repousse impitoyablement ceux qui viennent implorer son secours. À la fin, Dieu récompense par des dons abondans la femme charitable, et punit sa sœur cruelle en changeant en pierre les pains qu’elle gardait sordidement chez elle. Ainsi, au XIVe, au XVe et XVIe siècle, le peuple hollandais racontait en vers grossiers encore, mais pleins d’une douce émotion, l’évènement qui l’avait frappé ; et pour donner plus de force et de popularité à ses sympathies politiques ou à ses principes de morale, il encadrait ses idées dans le récit d’un fait dramatique. Mais bientôt le langage étudié et prétentieux des Chambres de rhétorique l’emporta sur ces naïves compositions, et les ballades d’amour et les pieuses légendes, œuvres de sentiment, d’originalité, de candeur, disparurent sous le manteau brodé de la littérature académique.

En continuant notre récit, nous verrons comment cette littérature se développa peu à peu au sein même de la bourgeoisie, comment elle subit l’influence des littératures étrangères, et à son tour influa sur l’Allemagne. Si dans le cours de ses différentes phases nous ne rencontrons pas ces grands noms que le monde entier apprend à admirer, nous trouverons du moins çà et là, et surtout dans les derniers temps, plus d’un écrivain distingué, plus d’un poète tendre dont nous aimerons à caractériser le talent et à raconter les œuvres.


X. Marmier.