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ribaud ? Si vous voulez le regarder, le voilà ce manant à la peau rouge, ce larron cruel. Mais dites-moi, digne prêtre, mon bel ami, quelle est la confrérie où vous servez ? dans quel ordre voulez-vous entrer, pour avoir ainsi ce chaperon rouge ? Êtes-vous donc abbé ou prieur ? Il a été bien près de vos oreilles, celui qui vous a taillé cette couronne. Vous avez perdu votre toupet, vous avez ôté vos gants. Vous allez, je suppose, chanter les complies ou dire votre bréviaire.

Hors d’état de se venger des trahisons de Renard et ne pouvant supporter cette froide raillerie, Brun se jeta de nouveau dans la rivière, regagna la terre à quelque distance, et s’en alla rejoindre la cour, tantôt en posant péniblement une patte devant l’autre, tantôt en glissant sur sa queue ou en roulant sur lui-même.

Toute cette scène est vraiment une charmante comédie.

L’arrivée de Brun à la cour, l’état piteux où on le voyait reparaître, lui qui était parti si sûr de lui-même, excita une nouvelle tempête contre Renard. Le roi jura par ses grands dieux que Renard serait puni, et chargea le chat Tibert d’aller le sommer de venir. Le chat, moins présomptueux que Brun, n’accepta qu’avec peine cette dangereuse mission. Il connaissait les ruses de son cousin Renard, et n’aimait guère à entrer en lutte avec lui. Mais le roi le voulait : Tibert partit, l’esprit tout préoccupé de sombres pressentimens. Le long du chemin, il rencontra une corneille, et lui dit de voler à sa droite. La corneille prit la gauche. Ce fut pour le craintif Tibert un triste présage de plus. Ses sombres pensées ne devaient que trop tôt se réaliser. Il se laissa conduire par Renard dans le piége le plus cruel, et faillit y perdre la vie. Ces deux funestes tentatives avaient profondément exaspéré le roi. Cependant il résolut d’en faire encore une nouvelle, et cette fois il chargea Grimbert le blaireau d’aller porter ses derniers ordres à Renard. Grimbert était son ami dévoué, son neveu ; il l’avait toujours fidèlement défendu à la cour. Aussi Renard ne cherche-t-il pas à lui jouer un méchant tour ; il l’accueille comme un bon parent, il le présente à sa femme et à ses enfans, puis se met en route avec lui pour s’en aller comparaître devant le roi. Chemin faisant, Renard se met à sonder sa conscience et se sent effrayé de tous les méfaits qu’il a déjà commis : — Cher neveu, dit-il, il faut que je me confesse à toi ; quand j’aurai avoué tous mes péchés, mon ame sera soulagée. — Et il se confesse avec toutes les formules du catholicisme ; dans cette scène et dans plusieurs autres, on dirait que l’auteur du poème a pris à tâche de tourner en ridicule les pratiques et les enseignemens les plus graves de l’église.