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Mais en Hollande il n’y a ni rochers, ni forêts, ni montagnes, rien qui étonne l’imagination, rien qui jette dans l’esprit cette mystérieuse terreur d’où naît le conte fantastique et la légende populaire. Là, l’homme a lui-même coupé, desséché et pour ainsi dire formé le sol qu’il occupe ; il en connaît la surface et le fond, et il sait bien qu’il n’y a là ni sylphes ni fées ; il sait comment il a été lui-même l’unique magicien de cette terre difficile à cultiver, comment il l’a épurée par des canaux et préservée de l’inondation par des digues. Chaque jour encore il est obligé d’y travailler, et ce travail matériel, continu, ne lui permet guère de rêver. Les romans féeriques, les poèmes chevaleresques traduits du français et de l’allemand, firent, il est vrai, pendant deux ou trois siècles, les délices de la noblesse hollandaise ; mais à côté de cette classe riche et galante qui aimait les récits de batailles et de tournois, les descriptions vraies ou fictives des cours étrangères et les aventures de voyage ou d’amour, il y en avait une autre plus nombreuse, et dont la fortune, l’influence, allaient toujours en augmentant : c’était la bourgeoisie. Dès le XIIIe siècle, le commerce et l’industrie lui avaient donné un ascendant qu’elle était loin encore d’avoir dans les autres pays. Bruges était un vaste entrepôt de toutes sortes de denrées ; Gand avait le langage haut et fier, et quand on parlait de la province de Hollande, on l’appelait la Hollande la riche[1]. Or, tous ces bons bourgeois, tous ces honnêtes merciers et tisserands dont la grande affaire était de fabriquer de bonnes marchandises et de les vendre au meilleur prix possible, comprenaient fort peu le bonheur de s’en aller sur les grandes routes chercher les aventures, les batailles, contre les dragons et les enchanteurs, les pérégrinations à travers le monde, pour retrouver une belle inconnue, et toutes les autres charmantes fictions des romans de chevalerie. Quand ils avaient fermé leur comptoir et tiré le verrou sur leur porte, si le soir, assis au milieu des leurs, la fantaisie leur venait de lire, il leur fallait des ouvrages plus positifs. De son côté, le clergé ne lisait guère, ou du moins ne devait décemment lire que des livres de piété, des légendes de saints, et quant au bas peuple, il était trop ignorant pour s’enquérir des manuscrits.

  1. Dans l’épitaphe de Jean II de Valenciennes, qui mourut en 1306, il est dit :

    CHY GIST LE GENTIL JEAN DE PARIS,
    JADIS EUST DESSOUS LUI COMPRIS
    QUATRE PAYS DE GRANDE NOBLESSE ;
    C’EST HAYNAU, COME BIEN APRIS,
    ZEELANDE ET FRISE, QUE MOULT PRIS,
    ET HOLLANDE PLEIN DE RICHESSE.