Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/425

Cette page a été validée par deux contributeurs.
421
THÉATRE ESPAGNOL.

qui est gigantesque, de pousser l’approbation jusqu’à l’enthousiasme, le blâme jusqu’à l’indignation, l’affection et le dévouement jusqu’à l’adoration aveugle, le mépris et l’antipathie jusqu’à la haine la plus furieuse, la plus impitoyable, de suivre jusque dans ses dernières conséquences cette terrible logique de la passion et du fanatisme qui exerce sur les imaginations prévenues un si funeste et si dangereux empire. Dans des ames ainsi organisées, il y a peu de place pour ces instincts d’humanité et de bon sens que la Providence a déposés en nous pour suppléer à l’imperfection de notre intelligence, et qui seuls peuvent nous retenir lorsque nous nous laissons égarer soit par les sophismes d’un argument captieux, soit par les illusions de l’orgueil ou de la vengeance. Ces bienfaisantes, ces saintes inspirations ne s’appuyant pas sur le raisonnement, c’est en elles-mêmes, c’est dans leur évidence que réside toute leur force. Lorsqu’on est parvenu à en obscurcir la clarté, à se persuader qu’il a quelque chose de plus vrai que la raison, quelque chose de plus respectable que la vie des hommes, à croire qu’il peut être méritoire de fouler aux pieds comme d’insignes faiblesses, comme de vulgaires préjugés, le bon sens, la pitié, la bonne foi, alors il est impossible de fixer la limite des horreurs et des extravagances auxquelles on peut se laisser emporter : on arrive à l’inquisition, à la Saint-Barthélemy, au comité de salut public ; alors aussi, ajouterons-nous en revenant à notre sujet, on en vient à applaudir comme autant d’actes magnanimes les vengeances des héros de Calderon et de Rojas.


Louis de Viel-Castel.