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THÉATRE ESPAGNOL.

Don Garcia. — Retirez-vous, priez Dieu qu’il veuille réprimer vos passions, et ne revenez plus au Castañar… S’il ne m’est pas permis de tirer vengeance de vos injures, le ciel, à qui je m’en remets, peut m’en faire justice.

Don Mendo. — Garcia, je n’oublierai pas ce que je vous dois.

Don Garcia. — Je ne veux pas de vos faveurs.

Don Mendo. — Que le comte d’Orgaz ignore ce qui s’est passé.

Don Garcia. — Je vous le promets

Don Mendo. — Que Dieu vous protége.

Don Garcia. — Puisse-t-il vous être en aide et nous préserver, Blanche et moi, contre vos projets.

Don Mendo. — Votre femme…

Don Garcia. — Pas un mot de plus. Je la connais ; je sais que vous seul êtes coupable. Où allez-vous ?

Don Mendo. — Je cherche la porte.

Don Garcia. — Quel aveuglement ! C’est par ici que vous devez sortir. (Il lui montre la fenêtre par laquelle il est entré.)

Don Mendo. — Encore une fois, vous me connaissez ?

Don Garcia. — Je vous garantis que, si je ne vous avais pas connu, vous seriez descendu plus vite… Mais maintenant prenez cette arquebuse. Il y a des voleurs dans la forêt ; ils pourraient ne pas vous traiter avec autant de ménagement que moi. Descendez promptement. Je ne veux pas que Blanche sache rien de cette aventure.

Don Mendo. — Je vous obéis.

Don Garcia. — Dépêchez-vous ; trève de complimens, et prenez-garde de vous laisser tomber ; je craindrais qu’une chute ne vous retînt un moment de plus dans ma maison. Descendez, ne craignez rien, je tiens l’échelle.


Je connais peu de conceptions aussi fortes, aussi dramatiques que la double erreur de Garcia et de don Mendo, dont l’un, prêt à frapper l’homme qui a voulu l’outrager, passe à son égard de la menace au respect lorsqu’il a cru reconnaître en lui son souverain, tandis que l’autre, toujours présomptueux, ne soupçonne pas même que les ménagemens excessifs dont il est l’objet soient accordés à autre chose qu’à la supériorité de rang d’un seigneur de la cour sur un pauvre campagnard ébloui de sa naissance et de sa qualité. Il était impossible de mieux faire ressortir le caractère des deux personnages.

Garcia, resté seul, s’abandonne au plus violent désespoir. Sa tête s’exalte. Bientôt il ne voit plus d’autre moyen de déjouer les projets du roi et de sauver son honneur, que de donner la mort à son innocente femme. Une lutte horrible s’engage dans son cœur, entre l’amour et la cruelle jalousie, qui lui met le poignard à la main. Tandis qu’il hésite, qu’il se débat, Blanche, éperdue, s’échappe et cherche un asile dans la forêt voisine, où elle rencontre leur noble protecteur, le comte d’Orgaz. Il venait en ce moment même annoncer à Garcia que le roi se proposait de lui conférer un commandement contre les