Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/37

Cette page a été validée par deux contributeurs.
33
DOCUMENS INÉDITS SUR MARIE STUART.

— C’est ce que j’ai pensé aussi. Je ne suis pas sans crainte ; sa promesse est ma seule sauvegarde. Mais j’irai avec elle, dût-elle me tuer. »

Crawford, frappé de cet aveu et de cette conversation, l’écrivit à l’instant même, et ce papier existe aux archives d’Angleterre. L’un des historiens les plus favorables à Marie convient qu’il ne voit aucune raison suffisante pour en contester l’authenticité. Darnley la suit ; elle le mène à petites journées jusqu’à un vieux manoir isolé, dans un faubourg, loin de toute maison habitée ; manoir qui appartient au frère de Balfour, qui a rédigé le band de l’assassinat. À ce logis misérable, étroit, chancelant, étaient adossées les ruines du couvent des dominicains ou frères noirs. C’est là que Marie elle-même, accompagnée de Bothwell, devenu son intime et son conseiller, confine le roi ; c’est là qu’elle le place, surveillant tous les détails de son intérieur, lui prodiguant des soins inaccoutumés, et lui prouvant de mille manières la sincérité de sa réconciliation. Comment cette femme impétueuse a-t-elle passé si rapidement de la haine, du mépris, de l’éloignement, à une tendresse attentive ? Avait-elle compassion de cet enfant presque idiot dont elle avait ceint le front d’une couronne brilante, dont elle avait enivré l’esprit débile, dont la faiblesse et l’indigence morales s’étaient anéanties dans les étreintes d’un amour et d’une beauté si périlleuses ? Voulait-elle, par son retour et sa présence, protéger contre le poignard ce pauvre être sans valeur ? Qui nous le dira, qui peut révéler aujourd’hui le dernier mot et le dernier abîme de ce cœur féminin ? Les lettres françaises de Marie à Bothwell, imprimées par Buchanan, et dont on prétend que Jacques Ier détruisit les originaux, sont-elles vraies ? Jamais passion ne poussa au crime une femme plus aveuglée. Quand même elles seraient apocryphes, on a droit de demander par quelle maladresse étrange Marie conduisait Darnley, non dans le palais ou dans une résidence de campagne, mais dans une maison inconnue, dans un lieu isolé, chez les parens de son mortel ennemi, au lieu de l’entourer de gardes à Édimbourg.

La prudence et les craintes de Darnley s’endormaient sous les séduisantes caresses de la reine. Le 9 février, Marie devait assister à un bal masqué (mask), donné par elle pour les noces d’un de ses valets de chambre. Elle passa la journée entière auprès de son jeune mari, et elle se trouvait avec lui, dans sa chambre, lorsque Hay de Tallo, Hepburn de Bolton, et quelques autres affidés de Bothwell, brigands qu’il appelait « ses brebis », et qui constituaient