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traite. La Bordelaise mouilla devant Paysandou, la ville la plus considérable de la province cis-platine sur sa frontière de l’ouest ; la goëlette la Vigilante remonta vingt lieues plus haut jusqu’au Salto, et la gabare l’Expéditive fut chargée de surveiller le cours inférieur du fleuve.

La principale force de l’armée d’Echague consistait dans sa cavalerie, dont quelques corps étaient bien exercés. Tant qu’il se maintint dans le nord du Rio Negro (Rivière Noire), qui partage en deux l’état oriental, le pays découvert et peu accidenté lui donnait une supériorité incontestable. Aussi le général Rivera ne s’aventura-t-il pas à risquer toute sa fortune dans un combat où l’ennemi aurait eu pour lui tant de chances favorables. Le plan du rusé gaucho était plus sage ; il avait de l’infanterie, et il savait que dans un camp retranché et protégé par son artillerie, jamais la cavalerie ne le taillerait en pièces ; il résolut donc de laisser l’ennemi s’épuiser en courses inutiles et de le forcer enfin à venir chercher la bataille sur le terrain qu’il aurait choisi, dont il connaîtrait toutes les ressources, et où il pourrait multiplier ses forces. Echague, en effet, passa la Rivière Noire : sur ce terrain entrecoupé, les avantages du sol ne furent plus pour lui ; cependant Rivera se replia vers Montevideo, mais cette marche rétrograde n’était pas une fuite. Du premier coup d’œil, il avait merveilleusement jugé l’issue de la campagne : « Maintenant, écrivait-il le 26 septembre, que les troupes d’Echague ont passé le Rio Negro, elles sont battues, parce qu’elles ont perdu leur mobilité ; mais je ne veux pas encore les attaquer, j’attends que Lavalle ait eu quelques succès. »

Nos agens aussi se berçaient de l’espoir de ces succès, mais ils étaient impossibles. Déjà le vain fantôme de popularité dont nous avions prétendu revêtir le général Lavalle s’était évanoui. Il ne lui restait plus qu’à confesser lui-même son impuissance. Après avoir attendu quelques jours l’effet de ses proclamations, voyant que la campagne demeurait sourde à sa voix, il avait envoyé une commission à la ville de Parana pour sonder les dispositions des habitans : l’accueil que reçurent ses députés lui fit assez voir que son nom était au moins sans prestige, si même l’instinct du peuple ne le repoussait pas. Presque réduit aux abois et traqué comme une bête fauve par plusieurs chefs dont il connaissait la férocité, il se vit contraint à faire ce pénible aveu que, n’ayant pas trouvé dans l’Entre-Rios la sympathie qu’il espérait, et redoutant la barbarie d’Urquiza, il avait dû se retirer à Corrientes. » (8 octobre.) Croirait-on que nos agens, loin d’être désabusés par ces désolantes paroles, persistèrent plus aveuglément que jamais à garder leur foi dans l’influence populaire du général Lavalle ?

Là sans doute auraient dû s’arrêter forcément nos spéculations révolutionnaires, si un évènement inattendu n’était venu relever toutes nos espérances et provoquer de nouvelles combinaisons. Nous prions qu’on veuille bien se rappeler le premier mouvement insurrectionnel de Corrientes étouffé dans le sang de Veron de Astrada. À la suite de cette commotion, don Pascal Echague avait fait élire comme gouverneur de la province le colonel de milices don José Antonio Romero, attaché à la cause du général Rosas. Mais le ferment de