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côté, sans se préoccuper de notre blocus, ni de nos menaces, ni de ce rival qu’on lui créait de toutes pièces et qui devait apparaître comme un météore terrible, préparait tranquillement la destruction de Rivera et le rétablissement d’Oribe dans l’état oriental. Au moment même où la troupe de Lavalle allait s’embarquer sur nos navires pour tenter de révolutionner l’Entre-Rios, le gouverneur de cette province, Echague, passait l’Uruguay à la tête de trois mille hommes, et pénétrait au cœur même de la République Orientale dans le but de faire prononcer à Montevideo la déchéance de Rivera, fermer le port aux navires de la division française, et nous ôter toute ressource dans la Plata.

Arrêtons-nous là, et du monde des idées où nous venons de voir deux combinaisons si diverses près de se résoudre par une lutte sanglante, descendons maintenant à l’exécution : les rêves s’évanouiront, la réalité seule restera. Nous suivrons parallèlement les mouvemens des deux chefs et des deux armées.

Le 2 septembre, la flottille qui portait (nous le croyions du moins) les destinées des provinces argentines appareilla de Martin-Garcia. La brise était favorable ; les navires refoulèrent sans peine le courant de l’Uruguay, et, le 4, on mit à terre dans la rivière de Nancay, petit affluent du fleuve, un détachement de cent cinquante hommes. Ce corps d’avant-garde devait ramasser des chevaux dans les estancias du voisinage, mais en se maintenant toujours à portée de nos navires, et manœuvrer de manière à rejoindre le reste de l’armée au débarquement général. À l’embouchure de l’arroyo (ruisseau) de la Landa, le contour de la rive forme un petit port naturel, une petite baie de sable, qui a pris son nom de l’estancia de don Basile, située dans le voisinage ; là toute la flottille se trouva réunie et jeta l’ancre. À l’entour, le terrain est marécageux ; nulle surprise n’était à craindre. On y débarqua un second détachement, qui prit terre aussi sans être inquiété, sans tirer un coup de fusil, et le lendemain, 8 septembre on vit accourir le premier corps expéditionnaire, qui poussait devant lui trois cents chevaux. Le reste des troupes fut porté par les navires quelques lieues plus haut, au Gualeguaychù, d’où l’on détacha vingt hommes encore jusqu’à San Lorenzo pour s’y procurer des chevaux. Dès le 10, la petite armée libératrice eut à sa disposition douze cents chevaux. Tout avait été payé comptant avec notre argent ; aussi les habitans n’avaient-ils fait aucune résistance, mais pas un ne s’était joint aux libérateurs. Qu’on ne s’étonne pas de cette prodigieuse multitude de chevaux ; ainsi vont les armées de ce pays, composées presque entièrement de cavalerie ; chaque soldat traîne à sa suite deux et même trois chevaux.

Le Gualeguaychù fut le point de départ. De là le général Lavalle adressa de touchans adieux à nos marins, qui y répondirent par des vœux sincères pour sa cause ; puis, le 14, il s’enfonça dans l’intérieur de la province. Sa proclamation aux habitans, manifeste politique et le grand œuvre de la commission argentine, est marquée d’un sceau bien étrange pour un chef de parti qui appelle son pays à une révolution. — « C’est du peuple, dit-il, que je viens