Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.
28
REVUE DES DEUX MONDES.

Au moment où les seigneurs qui avaient tué Riccio forment un second engagement, jurant sur l’Évangile de tuer Darnley, on voit entrer en scène un nouveau personnage, Bothwell, lieutenant des frontières, aussi féroce que Darnley était faible, homme à tout oser, ayant tous les vices, excepté l’hypocrisie. Des troubles avaient éclaté sur les limites toujours ensanglantées de l’Angleterre et de l’Écosse ; Marie charge Bothwell d’aller rétablir l’ordre. Il remplit sa mission avec sa bravoure ordinaire, et, dans une lutte corps à corps avec un chef sauvage, blesse son adversaire à la cuisse d’un coup de dague, est frappé à son tour d’un coup de claymore et tombe en perdant son sang. On l’enlève et on le porte dans son château de l’Ermitage, situé à six lieues de Jedburgh. La reine présidait les assises judiciaires dans cette dernière ville ; elle apprend le danger couru par son fidèle et brave serviteur, monte à cheval, se rend d’une traite à l’Ermitage, à travers des chemins impraticables, le 15 octobre ; elle soigne, console et encourage le blessé, puis elle revient à Jedburgh, où elle tombe malade elle-même. Buchanan, qui a diffamé cette imprudente et malheureuse femme, prête à sa visite un motif que détruisent les lettres originales de Scrope à Cecil et de sir Jon Forster au même. L’un et l’autre ne pensent pas qu’une liaison d’amour existât entre Marie et Bothwell ; ils n’imputent pas, comme Buchanan, la maladie subite qui fut sur le point de l’enlever aux excès d’une passion effrénée ; mais ils paraissent croire et tout semble prouver que ce fut alors, au milieu de son plus vif dégoût pour l’ignoble mari qu’elle avait appelé au trône, en face du guerrier presque mourant qui avait défendu les droits de son autorité, qu’elle s’enivra pour la première fois du poison qui acheva de la perdre. Rien de plus fréquent dans l’orageuse histoire dont le cœur des femmes renferme le secret, que ces révulsions excessives et ces passages violens d’un culte à l’adoration contraire, de l’admiration pour certaines qualités à l’enthousiasme pour les qualités et les vices opposés. Bothwell le brigand, le pirate, l’homme invincible, qui passait pour magicien, tant le peuple le redoutait, s’empara de cette ame émue et naguère trompée, qui n’avait plus que dédain pour les graces et la faiblesse de Darnley. Melvil affirme que le meurtre de ce dernier fut concerté par la reine et Bothwell à cette époque même. Scrope et Cecil, moins rigoureux, dépeignent vivement l’agitation, le trouble, le cœur brisé (Heartbreak), le regret d’avoir épousé Darnley et tous les mouvemens violens que l’on remarquait alors chez Marie. « Je voudrais être morte ! » criait-elle souvent. Et l’ambassadeur Du Croc,