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croient d’une nature supérieure, parce qu’ils conservent encore un reflet de la noble terre qui les enfanta : ils se donnent comme les représentans de la grande nation, parlent haut, parfois avec arrogance, et blessent trop souvent les indigènes par leurs prétentions exorbitantes. Les exigences de nos agens ne sont pas moins exagérées : ils voudraient imposer aux populations, et le moindre d’entre eux prétend à la considération qui entoure un ambassadeur. Les plus ardens allèrent s’inspirer chez le jeune consul, et celui-ci, faisant de la politique à ciel ouvert, haranguait les adeptes, donnait le mot d’ordre et s’enivrait, ainsi que son entourage, à la comparaison de la toute-puissance de la France avec la faiblesse de la république de Buénos-Ayres.

On va vite dans cette voie brûlante. Au mois de janvier 1838, notre agent exigea d’une manière péremptoire les satisfactions qu’il réclamait depuis longtemps. Il fallait y faire droit sur-le-champ, ou s’attendre à voir fondre sur le pays de grands malheurs. Le général Rosas ne comprit pas bien tout le danger de cette notification : il sourit même de mépris aux menaces du jeune vice-consul ; il ne croyait point braver réellement la colère de la France. Notre agent prit un parti extrême : il ferma sa chancellerie, et le drapeau tricolore cessa de flotter sur la terrasse de la maison consulaire.

Que dans un pays tel que la République Argentine le commandant d’une force armée tente spontanément un coup de main pour obtenir la réparation d’une insulte, d’un grief, dont ses nationaux ont à se plaindre ; soit qu’il réussisse, soit qu’il échoue, il ne s’ensuit point forcément une querelle entre les nations : les gouvernans peuvent, selon leurs convenances, accepter ou répudier les conséquences du fait. Mais quand un agent politique se retire avec éclat du pays où il était accrédité, il oppose nation à nation, le différend s’aigrit entre les gouvernemens sous le regard jaloux des peuples, l’amour-propre national s’en mêle, et presque toujours l’issue de la querelle est sanglante. Ainsi advint-il quand notre vice-consul parla comme agent diplomatique et se retira à Montevideo. Là, les proscrits de la République Argentine l’entourèrent, et son indignation se fortifia de toutes leurs fureurs : ils le caressèrent du titre de vengeur de l’humanité, et lui, comme par reconnaissance, les laissa rêver le retour dans leur patrie à l’abri des armes de la France et le châtiment de leur persécuteur sous les coups de la commune vengeance.

Alors se trouvait à Rio-Janeiro, commandant les forces navales françaises au Brésil et dans la Plata, le contre-amiral Leblanc. Il avait l’ordre de prêter à l’agent consulaire l’appui de sa division. En prenant une pareille résolution, le gouvernement français s’était laissé gagner aux raisons de son agent, qui affirmait que la vue seule de nos navires de guerre frapperait de terreur le général Rosas. À l’appel du vice-consul, l’amiral se rendit à Montevideo vers la fin du mois de mars 1838. Cependant, avant de laisser déclarer le blocus de Buénos-Ayres dont il espérait un effet magique, l’agent consulaire, par une appréhension vague sur le résultat de ses plans, jugea convenable de tenter une nouvelle sommation. Il rentra dans la ville et y resta trois jours.