Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/30

Cette page a été validée par deux contributeurs.
26
REVUE DES DEUX MONDES.

Les circonstances de cet attentat, que Knox appelle dans ses Mémoires une tragédie merveilleuse, sont familières à tous les lecteurs ; déjà consignées dans une lettre de Marie Stuart, adressée à l’évêque de Glascow, elles s’éclairent bien mieux et s’arment d’une authenticité plus dramatique, si l’on compare entre eux les récits manuscrits et contemporains que nous allons analyser. À sept heures du soir, le 6 mars 1565, cent cinquante hommes, armés de torches, cernent le palais d’Holyrood et s’emparent des avenues. Darnley monte seul par un escalier secret qui communiquait de son appartement à celui de Marie, soulève la portière du cabinet où la reine soupait avec Riccio, Beaton, la comtesse d’Argyle et le commandateur d’Holyrood, s’assied auprès de sa femme, entoure la taille de Marie d’un de ses bras et lui adresse des mots de tendresse. Alors on voit entrer sous la portière un spectre pâle, hagard, livide, couvert d’une armure d’airain, les yeux creux, le teint plombé, se soutenant à peine. C’est Ruthven sortant de son lit de malade. Marie, grosse de sept mois, se lève effrayée à cet aspect, et crie : « Allez-vous-en ! — J’ai affaire à David, dit Ruthven qui tire son épée ! » Les torches brillent dans la chambre, les conjurés s’y précipitent, Riccio s’élance, s’attache à la reine, se traîne et se cache dans les longs replis de sa robe, et crie en italien et en français « Giustizia ! giustizia ! Sauvez ma vie, madame ! sauvez ma vie ! » Marie implore en vain les assassins ; la table et les lumières sont renversées ; Car de Faudonside appuie son pistolet sur la poitrine de la reine, et Riccio, traîné jusqu’au seuil de la chambre à coucher, frappé de cinquante-cinq coups de poignard et portant au milieu de la poitrine le poignard du roi, reconnaissable à ses ornemens et à sa ciselure, est laissé par terre dans une mare de sang. L’exécution faite, Ruthven, la main sanglante, rentre dans le cabinet, se jette épuisé sur un siége, s’approche de la table, prend une coupe, la remplit de vin, et vidant la coupe, dit à Marie : « Votre mari a tout fait ! — Ah ! cela est ainsi, répondit-elle, adieu donc larmes ! c’est à la vengeance qu’il faut songer[1] ! »

La narration vague de Robertson ne donne aucun de ces détails, et passe sous silence les derniers mots de Marie Stuart, si caractéristiques et si nécessaires. Au bruit et aux cris dont retentit le palais, les bourgeois s’arment, sonnent le tocsin, et se présentent au nombre de six cents hommes à la porte d’Holyrood. Le roi paraît et dit au

  1. Lettre manuscrite de Drury à Cecil, 27 mars 1566. — Lettres de Bedford et Randolf à Leicester et Cecil, 8 mai 1565.