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qu’à la distance où ils seront placés ils ne peuvent être, même pour les esprits les plus ombrageux, une cause légitime d’alarmes, M. Thiers n’a pas craint de dire que ces ombrages n’avaient aucun fondement plausible, et que les suppositions auxquelles on se livrait étaient plus encore une injure gratuite pour le gouvernement qu’un motif sérieux d’anxiété pour la liberté. M. Thiers a raison. Le jour où la force publique, oubliant ce qu’elle doit à la patrie, entourerait de cinq cent mille baïonnettes dévouées, fanatiques, le trône d’un despote, la liberté serait, nous ne dirons pas perdue, mais compromise, même sans fort détachés : d’un autre côté, qu’importent les forts détachés, lorsque désormais un despote est impossible et que l’armée est nationale ?

Espérons que la chambre sanctionnera par un vote imposant le travail de la commission. Cette grande mesure n’aura toute son importance, toute sa valeur, que si elle obtient les suffrages presque unanimes de l’assemblée. Que serait-ce si les voix, en se partageant, laissaient apercevoir une faiblesse, une hésitation, une division, qui donneraient aux adversaires de la mesure, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur, l’espoir de la voir bientôt abandonnée ? Serait-il vrai que les évènemens qui viennent de s’accomplir ne peuvent pas même nous fournir l’occasion de faire ce qui devrait être achevé depuis vingt ans ? On raconte qu’un général, aussi spirituel que savant, interrogé peu de temps avant sa mort sur la question de savoir quand on commencerait à fortifier Paris, répondit sèchement : Quand il ne sera plus temps. Sans doute, c’était là une boutade, la répartie d’un homme compétent qui se sentait blessé dans ses convictions d’homme de guerre, comme dans son sentiment national. Doit-on craindre que le vote de la chambre ne paraisse justifier la répartie ? Il faut bien le dire : le bruit ne se répand que trop depuis quelques jours qu’une opposition formidable, patente et cachée, se prépare contre les fortifications de Paris. On craint que des intérêts variés, des vues diverses ne se réunissent pour faire échouer la mesure. Nous vivons dans un temps de coalitions. Il y en a toujours de toutes prêtes pour empêcher et pour renverser ; peut-être y en aura-t-il un jour pour édifier et pour soutenir.

En attendant, on assure que les fortifications de Paris pourraient bien être repoussées par des financiers qui feront sonner haut et exagéreront au besoin le chiffre de la dépense, par des militaires dont le nom ne resterait pas attaché à ce grand ouvrage, par les ennemis acharnés de M. Thiers, qui veulent, avant tout, faire autre chose que ce que M. Thiers a désiré et proposé ; par des hommes du centre, ministériels sans doute, mais qui ne seraient pas trop fâchés de voir le cabinet se débattre contre les difficultés que ferait naître le rejet de la loi ; par des ministériels dévoués, mais fortement persuadés en même temps que les ministres, après tout, aiment encore mieux un échec que le succès d’une mesure qui appartient en réalité au 1er  mars ; enfin la loi sera probablement rejetée par tous ceux que les fortifications de Paris effraient au lieu de les rassurer ; il en est un bon nombre parmi les propriétaires, les hommes de commerce, les hommes d’affaires, convaincus qu’ils