Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/284

Cette page a été validée par deux contributeurs.
280
REVUE DES DEUX MONDES.

rendre à chacun ce qui lui appartenait, les usurpateurs se sont attroupés et ont chassé les magistrats. Le capitaine-général de la province a dû à son tour envoyer des troupes ; le journal de Malaga contient le bulletin de la campagne entreprise par le colonel don Francisco Feliu de la Peña pour ramener les habitans de Casabermeja au respect de la propriété.

À Barcelone, ville qui a toujours précédé le reste de l’Espagne dans les innovations révolutionnaires, il se forme en ce moment une redoutable coalition d’ouvriers pour faire la loi aux maîtres.

Ces faits sont, comme on voit, de l’ordre le plus grave ; ils sont justement considérés par les journaux modérés de Madrid comme les symptômes d’une révolution sociale venant à la suite d’une révolution politique. Mais quelque effrayantes que soient les révélations qu’ils apportent sur l’état intérieur de la Péninsule, ils n’auront peut-être pas encore sur l’avenir du gouvernement et de la nation l’influence que paraît devoir exercer une affaire toute récente et d’une tout autre nature. Nous voulons parler du coup d’état qui vient de frapper le représentant du saint-siége à Madrid, don José Ramirez de Arellano, et du retentissement que ce coup doit avoir en Espagne, à Rome et dans toute l’Europe.

Ce serait une erreur de croire que l’Espagne, malgré la ferveur de son catholicisme, soit restée fort en arrière de la France sous le rapport des libertés ecclésiastiques. Le concordat passé avec la cour de Rome par le dernier grand homme de la Péninsule, le comte d’Aranda, sous le règne de Charles III, a renfermé dans d’étroites limites l’autorité du saint-siége. Depuis ce concordat, Rome n’avait d’autres droits que de donner l’investiture aux évêques désignés par le gouvernement espagnol, de prononcer en dernier ressort sur la validité des vœux monastiques, d’accorder des dispenses pour le mariage au troisième degré de parenté, et de pourvoir directement à cinquante-trois bénéfices dont la disposition lui avait été nominativement réservée. Seulement, comme le droit canonique était toujours en vigueur en Espagne, un tribunal suprême ecclésiastique, connu sous le nom de tribunal de la Rote, avait été institué par une bulle du pape Clément X, en date du 26 mars 1771, pour juger toutes les questions de discipline religieuse. Une partie des membres de ce tribunal étaient présentés par le roi et confirmés par le pape ; les autres, comme le fiscal ou procureur-général, étaient nommés par le pape et confirmés par le roi ; tous étaient inamovibles, et leur siége ne pouvait devenir