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jusque-là, et qui, à ce titre, ont marqué un peu vivement. Chacun a ses torts. Ceux qui ne se sont occupés toute leur vie que des lettres, ne peuvent avoir que des torts et des peccadilles littéraires, et ils en ont nécessairement, à moins d’être et d’avoir été toujours des sujets exemplaires, ce qui, on en conviendra, est la pire des choses en littérature.

Après cela, que l’Académie tempère, qu’elle entremêle, qu’elle espace et distance (sont-ce des mots académiques ?) les gens de lettres par des choix d’une littérature moins sociaIe, et par toutes les sortes de variétés que présentent, dans une société comme la nôtre, les applications publiques de la parole : à la bonne heure ! l’Académie est un salon ; pour qu’il reste le premier de tous, à de certains jours, il faut qu’il n’y manque aucune des formes et des distinctions possibles du langage. Et puis, qu’on ne l’oublie pas, plus de la moitié des académiciens de tout temps ont été des grands seigneurs, des évêques, des maréchaux de France de père en fils, de ces membres, comme disait le digne et ingénieux d’Alembert, que la compagnie avait plutôt reçus qu’adoptés. Mais, va-t-on s’écrier, on a aboli tout cela ; non point, s’il vous plaît ; vous retombez dans l’illusion de Chamfort ; on n’a point aboli, on a transformé tout cela. Il n’y a plus de grands seigneurs à l’Académie, reçus à ce titre et sur un mot du roi. Le temps est loin en effet, où le duc de Villars s’y voyait nommé pour succéder à son père le maréchal, lequel en était pour la victoire de Denain. En 1738, le marquis de Saint-Aulaire, le spirituel ancêtre du très légitime académicien d’hier, avait, comme directeur de l’Académie, à recevoir le duc de La Trémoille qui n’y avait d’autre titre que ses hautes qualités et fonctions à la cour. Mais il se trouvait, par bonne fortune, que le père de ce duc de La Trémoille, avait épousé la petite-fille de Mme de La Fayette, l’auteur de la Princesse de Clèves, et le nouvel académicien, arrière-petit-fils de M. de La Fayette par sa mère, se pouvait dire de la sorte petit-neveu (à la mode académique) de la Princesse de Clèves et de Zaïde. M. de Saint-Aulaire, en homme d’esprit et de ressource, ne manqua pas de le lui dire : « Pouvaient-elles mieux s’acquitter (les lettres) de ce qu’elles devaient elles-mêmes à cette femme incomparable, dont le nom, qui s’est perdu dans votre maison, fut encore moins fameux par les grands hommes qui l’ont porté…, que par les deux chefs-d’œuvre immortels ?… » Et il se jette, en finissant, sur Castor et Pollux, comme Simonide. On est bien loin de ce temps-là. Mais, encore une fois, il y a eu transformation plutôt que destruction à l’Académie, et les hautes