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de l’ame humaine ont été représentées par des hommes éminens, ont enfanté des œuvres remarquables, n’a pas été, il s’en faut, un siècle tranquille et pacifique, une époque de loisir commode aux penseurs et aux écrivains ; il a été, au contraire, un des âges les plus orageux, les plus remplis par l’action, les plus tourmentés par les révolutions qu’ait vus l’humanité, un siècle de guerres et d’agitations, de troubles, de déchiremens. C’est au milieu de ces agitations, de ces tempêtes, que les hommes du XVIe siècle ont fait tout ce qu’ils ont fait ; les guerres étrangères, les désordres plus déplorables des guerres civiles, n’ont pas empêché ces hommes d’écrire, et d’écrire beaucoup d’in-folios, de se nourrir avec passion de l’antiquité, d’agiter les plus grands problèmes de la religion et de la philosophie. Ceci doit être une leçon pour tous les temps et particulièrement pour le nôtre. Si nous sommes destinés, comme il est possible, à voir des troubles et des guerres, il est bon de nous dire, par avance, que les plus grandes agitations publiques, les plus grands désordres sociaux même, ne doivent point distraire des intérêts intellectuels de l’humanité. Il en est ainsi à plus forte raison quand l’agitation est dans les esprits encore plus que dans les faits ; il serait inexcusable alors de se laisser tellement posséder par les préoccupations politiques, qu’on oubliât le culte de la pensée, l’étude, l’art, la science. Il ne s’agit nullement ici de la plus légère indifférence pour les intérêts publics : les hommes du XVIe siècle étaient très loin de cette indifférence ; tous prirent une part active aux affaires et aux passions contemporaines, mais en ressentant ces préoccupations impérieuses, sacrées, ils trouvaient du temps, ils trouvaient de la force pour penser, pour l’apprendre, pour produire. Imitons l’exemple de ces hommes, et en ressentant, comme c’est notre devoir et notre honneur, en ressentant profondément l’intérêt qui s’attache aux agitations publiques, recueillons dans nos cœurs assez d’énergie encore pour remplir notre tâche, pour faire notre travail ; qu’ainsi aucune force, aucune faculté, aucune activité ne soit perdue, et, quoi qu’il advienne, à travers tous les évènemens qui peuvent naître, que chacun de nous, dans sa vocation, selon sa destinée, s’efforce de donner à la France un grand siècle de plus.


J.-J. Ampère.